La nuit est si froide, une lame de désespoir qui gèle le sang et donne la pâleur de la mort, accentuée par la lueur de la lune là-haut, noyée dans la brume, cette brume qui recouvre tout de son linceul et rend les lieux familiers étrangers et fantastiques, un nouveau monde aux silhouettes inquiétantes et fascinantes. L'église à deux pas pourrait être un temple infernal pour ce qui s'en découpe dans l'ombre et la faible réflexion spectrale entrecoupée de lambeaux de brouillard. Tout paraît irréel, plongé dans un silence sépulcrale. Elle resserre autours d'elle son manteau en frissonnant alors qu'une vive bourrasque la traverse de part en part, si gelée que l'on pourrait croire qu'il s'agit du battement d'une des ailes de Dité le réprouvé. Qu'est ce qui a pu l'amener à errer ainsi dans cette nuit où tous les repères sont faussés ? Elle rabat la lourde porte de bois en rassemblant douloureusement ses forces dans ses bras gelés, luttant contre le vent dont le mugissement cauchemardesque rompt quelques temps le silence. L'anneau de fer tinte en heurtant la porte qui claque brutalement, avant que le silence, plus pesant encore que le brouillard, ne retombe.  Et ce brouillard, fantôme vivant, se glisse dans le mince interstice et se faufile dans le bâtiment, qu'il envahit. Les pas résonnent sinistrement , perdus dans un léger voile alors qu'elle avance, passant alternativement des ténèbres à la pâleur maladive que la lune parvient à projeter au travers des vitraux qui la teinte de rouge, feu ou sang.

           Là-bas dans l'ombre elle discerne la forme du confessionnal, et un léger soupir, comme une petite âme, s'exhale de sa bouche, et elle reste appuyé contre l'épaisse colonne de pierre, et l'on pourrait la croire statue, hors ces perles gelées roulant sur ses joues, et ses lèvres forment des mots qui se perdent dans l'air enténébré. Prières ? ou remords ?

        Une ombre se détache des autres, s'allonge, se matérialise en une silhouette qui parait humaine… L'ombre de cette ombre s'étire sur le sol alors qu'elle se dresse face à un vitrail, et fait un rempart à sa lueur. Surprise par le soudain redoublement  d'intensité de la pénombre, elle sursaute et se retourne avec crainte, faisant face à une silhouette encapuchonnée.

-         il n'est pas là, articule lentement une voix masculine provenant de la silhouette.

Et comme elle demeure muette, il approche de deux pas.

-         Si tu le sais, pourquoi venir ? Il est facile de se lamenter sans rien tenter. Le retrouver ne te servirai de rien, à part te lamenter encore après. Oublie cela. Et mortifie ton corps. Ça te fera du bien et élèvera ton âme à un niveau supérieur. Abandonne ce monde matériel et charnel. Tu sais qu'il est des choses qui ne sont pas pour toi. Marie toi à notre Seigneur, tu ne saurais connaître d'autre union, ni surtout de meilleure. Il est grand temps de te reprendre en main, regarde toi un peu : un vrai gibier de l'Enfer ! damnée plusieurs fois ! mais tu peux te racheter, et passer ta vie dévotement si tu t'y prends maintenant…

-        

-         ah ! oui tu es trop faible, mais c'est la seule voie pour te racheter et tu sais qu'elle est la plus sage également.

-         Ce n'est pas ma voie.

-         Oui tu préfères souffrir et aller en Enfer ! C'est plus simple… Que crois tu que tu deviendras de toute façon ?

-         Je verrai bien. Je veux au moins essayer. Il y a tant à faire.

Elle devine une grimace amusée sur le visage de la silhouette, si elle peut en être dotée

-         Et tant que tu ne feras pas…

Silence. Tout semble figé. Même le cœur ne bat plus.

-         Allez vous encore me hanter souvent ? j'ai l'impression que vous avez toujours été là, quelque part, à me tourmenter…

Cette fois elle distingue nettement un large sourire.

-         Mais voyons quel meilleur directeur de conscience pourra t'il jamais exister que Tomàs de Torquemada ?