...and says his prayers by night, may become a wolf when the wolf bane blooms and the autumn moon is bright
Une réplique très fameuse du film the Wolf Man, datant de 1941, et pas de 1946 comme je l’ai dit à l’article précédent, mais comme personne ne l’a lu je n’ai même pas à le relever.
Car aujourd’hui, on va profiter de la sortie du remake (heu, il est encore en projection depuis le temps ?) pour causer un peu loup-garou. D’ailleurs cette même phrase a fait l’entrée en matière du remake, pour dire. On la retrouve aussi dans Van Helsing, tant qu’on y est, et dans un morceau metalleux que je vous laisse deviner.
Le loup-garou, lycanthrope sous sa forme plus savante, et bien je vais vous faire une révélation, c’est un homme qui se transforme en loup ou en une créature mi homme-mi loup, et pas de jeu de mot foireux avec le nom du chien d’un journaliste belge en pantalon de golf, merci. La croyance en l’existence de ces créatures est très ancienne. Vous ne devinerez jamais qui ont été les premiers à causer de l’existence de ces hybrides. Ben ouais, les Egyptiens, personne n’y aurait cru, hein ? Bon, Anubis est formé du loup local, un canidé dont je ne me rappelle plus le nom, mais ce n’est pas un chacal. Pour la transformation d’un homme en loup, je pense que quelqu’un qui avait le Livre des Morts pouvait très bien le faire s’il lui en prenait fantaisie… (je n’ai pas retrouvé de formule spécifique, parmi « se transformer en faucon d’or » ou « se transformer en lotus » mais bon, quand même, il y en a une pour devenir ce qu’on veut alors why not)
un loup-garou au Vatican ! en fait une statue d’Anubis d’époque romaine. S’il porte le caducée de Hermès, c’est normal, l’interpretatio graeca est passée par là, et a simplement assimilé les deux divinités, étant tous deux psychopompes. Pour ceux qui ne sauraient pas ce que ça veut dire, ça n’a rien à voir avec un fétichisme des chaussures, c’est le fait de passer les âmes dans l’autre monde.
Grecs et Romains parlent d’hommes loups qui n’ont pas besoin d’être des dieux ou des morts pour en arriver là. Pour les Grecs, on a l’ancêtre Lycaon, transformé en loup par Zeus parce qu’il avait été vilain. (une simple accusation d’anthropophagie sur enfançon, rien de bien grave, pourtant), cela rapporté par Ovide mais ils accusaient aussi aisément les voisins s’ils leurs paraissaient louches. Le Satyricon de Pétrone, exemple moultement (ou moumoutement, c’est quand même un sujet poilu) connu, traite à un moment d’un type, un soldat même, parce que, quoi, c’est vrai que ces gens sont louches, qui, au milieu des tombes la nuit s’est foutu à poil en conjurant les astres, s’est transformé en loup et est parti courir le guilledou en hurlant joyeusement. Mais il s’est fait gauler en train d’égorger des moutons, et reprenant au matin sa forme humaine, portait la même blessure que le loup.
Alors depuis, vous pensez si on a entendu parler de gus dans ce genre ! ils ont été très en faveur au Moyen-Age, où c’était une très bonne accusation pour se débarrasser d’un conjoint encombrant.
Ah, tenez, voici les diverses appellations de nos hybrides :
Lycanthrope (homme-loup) pour les Grecs, ou mormolycie ; versipellis (qui change de peau, littéralement) pour les Romains (que du coups si on est versatile on est un peu loup-garou, n’est-ce pas) francisé par Bodin en varios et versipelles : werwolf pour les Allemands… en France, on a pas mal de variantes déjà : garwall pour les Normands, loups-varous en Picardie, bigourne dans le Poitou et la Gironde, libérous en Dordogne (ça veut dire le Lubéron c’est un coin à lycanthropes vous croyez ?), loup-bérou… dans le Berry, bisclaveret en Bretagne… on peut encore ajouter warou, lubin, LUPIN en majuscule, souligné, surligné ce que tu veux, parce que je veux pas faire de spoiler mais Remus Lupin c’est un loup-garou, et c’est direct annoncé dans son nom, t’as vu ?? fausse piste, ça n’avait rien à voir avec la botanique ! Tout simplement parce que lupus, ce n’est pas que la maladie favorite du dr House, c’est d’abord le loup latin. Et si on met au féminin, par contre, c’est une insulte, en gros une accusation de monnayer son affection.
et là c’est si il vous faut encore d’autres noms.
Bref, maintenant que tout le monde a compris, comment devient-on un loup-garou ?
Dans l’Antiquité déjà, ça tenait de la magie. L’autre tordu de soldat a « conjuré les astres », par exemple. Les astres sont par essence associés à l’occultisme à l’époque. Au Moyen-Age, c’était bien sûr du ressort du Diââââble. Diable qui apparemment ne dédaignait pas l’apparence d’un loup pour se montrer à ses fidèles. Seuls les sorciers, acoquinés au Malin pouvaient se permettre ce genre de fantaisie, et ils se faisaient remettre un onguent spécial pour ça. Autrement, on peut compter sur la possession par des démons, qui transforment leurs victimes en bêtes, et pour peu qu’un incube aille tourmenter une donzelle, il peut en résulter la naissance d’un adorable louveteau garou.
Par contre, le Marteau des Sorcières est très clair : le Diable ne peut créer autre chose que de l’illusion, aussi l’aspect des loups-garous en est une, ce qui peut s’avérer très pratique quand on veut accuser quelqu’un qui n’est pas atteint d’hypertrichose (vous savez, l’hyper pilosité qui ont fait des personnes atteintes de ces maladies des freaks montrés dans les foires). Non, parce que voilà, un inquisiteur qui est persuadé du crime lycanthropique d’un type, il serait bien s’il devait prouver que le mec se transforme vraiment.
Mais ça cadre bien aussi avec la réalité historique : pendant les périodes troublées, genre guerres, qui n’ont pas manquées pendant l’époque médiévale puis moderne, les gens pouvaient se réfugier dans des psychotropes pour oublier la misère quotidienne, et ils se faisaient des onguents avec des tas de trucs pas très nets dedans, genre du suc de belladone, et ils déliraient gravement. Ils s’imaginaient ainsi pouvoir s’envoler sur des balais (quand ils n’opéraient pas de pratique déviante avec), ou bien se transformer en loup… et il y avait aussi l’alimentation, comme ils n’avaient pas assez de blé pour faire leur pain, ils foutaient d’autres graines bizarres dedans, genre toxiques, genre ergot de seigle, qui donnaient des effets hallucinatoires assez forts.
Cranach l’Ancien, au début du XVIe siècle, nous dépeint le loup-garou ordinaire : il égorge, déchiquète et se repaît de chair de préférence fraîche et jeune, c’est un horrible sorcier, un tueur obscène qui répand le mal et la désolation…
D’ailleurs, le qualificatif de loup-garou s’applique à des individus s’adonnant à ce genre de pratique sans que l’on est besoin de les recouvrir de fourrure pour les stigmatiser. C’est le cas de Gilles de Rais, par exemple, psychopathe du XVe siècle qui n’en fut pas moins maréchal de France. Et plutôt pas mal de sa personne, entre parenthèses, en tout cas dans ses portraits pas d’époque (aucune idée de l'artiste ni de la date).
Pourtant, j’ai été assez surprise en découvrant un lai de Marie de France, Bisclavret, datant du XIIe siècle, qui raconte l’histoire d’un loup-garou, certes… mais celui-ci est la victime dans l’affaire. J’ai trouvé ça assez inattendu, à cette époque, de faire du loup-garou un seigneur et un chevalier plein de noblesse, qu’il soit humain ou loup, trahi par la véritable bête sauvage à face toujours humaine, sa femme. Et j’encadre totalement. Voici un lien pour le lire, dans ma grande mansuétude.
Et là, vous allez me dire, avec raison : heu… et y’a pas de transmission par morsures ? il se transforme pas qu’à la pleine lune, normalement ? et les balles en argent ? ça sort d’où tout ça ???
Et oui, et oui, tout ça, ça vient après. Déjà parce que les balles en argent, on ne pouvait pas les faire quand on n’avait pas d’arme pour les tirer, voyez. Le mythe du loup-garou remonte à loin, et il a continué son bonhomme de chemin ! d’après ce que j’ai pu voir, il y a eu apparemment des accusations de lycanthropies –en France- jusqu’en 1920, si ce n’est plus…
Il semblerait que ce soit au XIXe siècle que la mythologie contemporaine du loup-garou se met vraiment en place. La période romantique s’est fort intéressé à cette vieille croyance, qui lui a permit de s’exalter sur la dualité de l’être, entre l’homme civilisé et le sauvage, la bête dont il provient, sur la solitude de l’être confronté à cette malédiction qui s’opère au clair de lune, dans le cadre de forêts… vous soyez le genre. Georges Sand en parle dans ses Légendes rustiques. Bien entendu, la littérature fantastique du XXe siècle a abondamment apporté sa contribution à ce mythe, ce qui fait qu’aujourd’hui traditionnellement on considère que le loup-garou c’est un type qui s’est fait mordre par un autre loup-garou, qui se transforme à la pleine lune en une créature vicieuse comme l’homme et forte comme la bête, poilue, cruelle et rapide, avec de grandes griffes, une force hors du commun, qui craint l’argent et ne peut se faire tuer que par une balle coulée dans ce métal, de sorte que toute blessure infligée par autre chose sera inefficace et guérira très vite.
Ben du coups, Wolfman, c’est ça, c’est le mythe respecté scrupuleusement dans sa plus pure tradition. Je ne trouve pas ça mal, hein, justement, j’ai beaucoup aimé le film, on va dire que c’est un grand classique illustré avec brio. Pas de surprises, mais beaucoup de plaisir et de fun quand même. Et en plus il y a Hugo Weaving qui balade son charisme habituel avec une nonchalance férocement classieuse, avec ça tout est dit.
En plus, quand Lawrence lui dit « ah, c’est vous qui avez bossé sur l’affaire de Jack l’Eventreur », ben c’est pas des carabistouilles. Y’avait bien un inspecteur Frederick Abberline de Scotland Yard. Même, tenez, c’est lui que Johnny Depp incarne dans From Hell.
Là, comme vous êtes vachement observateur, vous aurez noté que ce n’est pas Johnny Depp mais Hugo Weaving dans le rôle d'Aberline, et que si vous n'aimez pas cette coupe de barbe c'est pourtant celle du vrai inspecteur à l'époque des faits d'éventration sur prostituées.
Ah et donc forcément on est en pleine époque victorienne aussi (derniers crimes de l’Eventreur en 1888), c’est important de le souligner. Pour les costumes, certes, mais aussi parce que ça montre bien le décalage entre cette confiance aveugle qu’on accorde à la Science toute puissante qu’on érige comme compagne de la Raison triomphante, et l’existence, la preuve de ce surnaturel, qui la balaie d’un coups et montre que les vieilles superstitions et croyances considérées obscurantistes ont bien une raison d’être. Car en plus cette science et cette raison ne sont pas moins inhumaines que la créature féroce qui se déchaîne les nuits de pleines lunes.
Ah oui, chose que je trouve amusante. Les réactions devant certaines scènes sont très amusantes. Ainsi, certains peuvent voir des types se faire décapiter, éventrer, éviscérer, trépaner, pendre par les yeux, coupés en deux, torturés avec des petites cuillères, le tout sans broncher, mais alors la seule vue d’une seringue, surtout avec l’aiguille plantée dans la peau plantée dans la peau, les font tressaillir d’horreur et gémir d’angoisse. J’aimerais une explication là dessus, même si j’ai ma petite idée.
Pour en revenir au film, les loups-garous n’étaient pas trop mal fichus, ils étaient surtout très bien habillés, et les poursuites dans la sylve ont tenus leurs promesses. Il y avait du kitsch, mais juste ce qu’il faut. Et ça passait très bien en costume victorien. Le plus réjouissant, c’était quand même les phases d’hallucinations de notre mordu.
Bref, un film que je reverrai avec un grand plaisir, de préférence à la pleine lune comme ce fut le cas cette fois.
Pour en revenir au mythe du loup-garou, quelque chose qui me chiffonne, c’est cette transmission. Uniquement par morsure. Morsure= salive= fluide corporel non ? ce qui me chiffonne donc c’est que souvent se faire un loup-garou n’a aucune conséquence, alors que la morsure amène la fin du monde. Si on assimile la lycanthropie à une MST, autant aller jusqu’au bout, non ? il me semble que dans Wolf, ça allait dans ce sens. Bon film, dans mes souvenirs.
Mais justement, là est l’explication. On fait passer des choses pour d’autres, à travers des symboles. En l’occurrence, la morsure est un symbole, un euphémisme, pour l’acte sexuel. En tout cas c’est comme ça chez les vampires, en tout cas dans le Dracula de Bram Stoker. Ce livre était d’un érotisme féroce quand il est sorti. Erotisme d’un charme désuet aujourd’hui. Vampires et loups-garous pourraient donc être perçus comme des matérialisations de ces fantasmes, attirants irrésistiblement, mais dont on connaît le danger, et qui, par leur pratique, amènent à la bestialisation, au châtiment divin, à la damnation, visible, honteuse et irréversible, amenant à l’opprobre et au rejet de la société. Au XIXe, c’était la syphilis. Maintenant, bien entendu, notre fléau actuel est le sida, et j’ai déjà entendu parler de cette association à nos deux créatures comme sortes de personnifications de la maladie.
Il me semble que jadis, la stigmatisation du loup-garou, l’accusation de lycanthropie, matérialisait la crainte qu’on pouvait avoir de ses propres instincts, de sa partie animale refoulée. On avait peur de cet individu qui s’affranchissait de toutes les règles policées de la société humaine, de sa hiérarchie, de sa morale, de ses convenances, pour s’adonner librement à ses pulsions, à ses bas instincts, remettant en cause l’ordre du monde édicté par l’Eglise, et par le gouvernement, éventuellement. La contagion est donc très dangereuse… enfin bon, ça devait être plus au niveau du ressenti que du raisonné. C’est vrai, quoi, débarrassé du fin et fragile verni de la civilisation, l’homme retournerait très vite à l’état animal qu’il n’a jamais vraiment quitté (ça non)
Le loup-garou est presque toujours représenté comme en détestation complète de son état, dans l’incapacité de contrôler sa forme animale. Une crainte toute humaine ça, perdre le contrôle de soi. Alors que sa forme animale lui donne juste les moyens de faire ce que son vice humain convoite. Et ceux qui aiment leur nature lycanthropique sont encore plus dangereux, car c’est une excellente excuse pour faire le « mal » dont ils rêvent, en conservant une figure de citoyen honnête à côté. Ce qui rappelle ici l’étrange cas du Dr Jekyll et de mr Hyde (que je viens de relire, ce qui m’a rendu ce lien plus évident) ce fantasme de pouvoir séparer les composantes de l’âme humaine en deux : tout le bien dans une partie, tout le mal dans l’autre (et c’est cette partie qui est animale et contrefaite bien sûr), ce fantasme de la dualité kalos kai agathos, ce qui est beau est bien, ce qui est laid est mal, ça ne date pas d’hier, voyez, qu’un physique soit la matérialisation des vertus d’une âme. Et qu’un être puisse être soit un ange, soit un démon. Parce que savoir qu’on est les deux en même temps, y’a pas à dire, ça défrise.
Pourtant, le loup-garou non refoulé, ça serait, l’harmonie d’un être : la Raison et l’Instinct, l’humain et l’animal, libre de ses choix, libre de ses actes, celui qui parcourt les sombres méandres de la forêt de son propre inconscient, où il peut avoir la révélation de lui-même. Cheminement solitaire, dans l’ombre, vers la lumière. Réconcilier les deux. Aller hop, le saint Graal, calice lycanthropique. Perceval, un loup-garou. I’ve made my day.
Si jamais il y a eu quelqu’un pour aller jusqu’au bout de cette pensée brouillonne et décousue (et délirante) je vous annonce que vous êtes au choix masochiste, ou que vous n’avez rien de mieux à faire, ou bien les deux. Et tant qu’à en être là, autant laisser son avis sur la question, n’est-ce pas ? éclairer charitablement ma lanterne ombreuse ?
Allez, Vale, donc, la messe est dite, le vin, le sang, tirés, prêts à être bu au calice de la Dualité, pour l’émergence de la forêt d’Inconscience, dans une fièvre syphilitique où chacun prend son diable par la main pour aller danser sur les ruines.
Franz von Stuck, Wild Hunt, 1899 (et en cliquant, autre version)un jour, je ferai un article sur la Chasse Sauvage
Ps : Sherlock Holmes : vu et approuvé. Il fallait rester dans l’ambiance XIXe.
Et je me suis aperçue que maintenant, ça se compte en années, le temps que je promet une analyse personnelle et forcément tordue de Peter Pan. Mais ça va venir, je n’ai toujours pas renoncé. J’espère juste que mes théories fumeuses vont me revenir de façon plus consistante que ce nuage brumeux qui me reste à l’esprit. (enfin un nuage brumeux dans lequel flotte complaisamment le Capitaine Crochet, ce qui reste délectable)
Pour la suite, il risque d’y avoir des révélations sur la démocratie athénienne,. Be ready !