Beaucoup de projets d’articles, tous aussi longs et dépourvus d’intérêts (pour vous chers lecteurs inexistants) les uns que les autres… parmi eux une interprétation de rêve, un commentaire d’une phrase de Henri-Clément Sanson, la liste de ceux à qui j’adresse la phrase « je l’aime » dans une journée (pas moins d’une cinquantaine de fois sur une cinquantaine d’individus (artistes morts la plupart du temps) ou objets différents) l’exhibition gratuite d’une photo de jeune homme à forte capillarité prétexte à un discours très sérieux sur la filiation d’Elrond et partant sur la reproduction chez les elfes (virginité au mariage ? combien de temps de gestation est-il nécessaire pour un enfant elfe ? à quelle fréquence les femmes elfes ont-elles leur cycle ? connaissent elles la ménopause ? ) sujet pas si idiot qu’il n’y paraît et qui a été lancé par la gentille sœur de mon esclave. Aussi en projets, biographies de contemporains de Bleuzenn (on se demande lesquels tiens) une déclaration d’amour à Perceval, exhibition de mes crimes graphiques, exaltations gratuites sur mes peintres fétiches (là encore on se demande lesquels)…
Non, Aujourd’hui il me prend l’envie de traiter d’un thème qui m’est cher, l’Amour et la Mort, Έrwς kaί Qanάtoς LE couple. Ce thème offre de très vastes choix de sujets : le vampirisme, sa plus parfaite illustration, peut-on aimer un mort ? (j’aurais tendance à dire oui je ne sais pas pourquoi) peut-on aimer LA mort ? Là dessus un site très intéressant : la mort dans l’art.
Non, le sous-thème que j’ai envie de traiter ce jour consiste en la décollation de l’amant, et il m’est très cher. J’ai toujours été attirée par cette relation morbide entre une tête coupée et une jeune fille, et mes rêves sont souvent peuplés de ces étoiles filantes au sillage rouge. Rien de pathologique là dedans, c’est avant tout esthétique. Soyez certain que si je voyais vraiment une tête sans son corps, je ne dirais probablement plus ça. D’un aspect purement artistique et de l’ordre de l’idée, c’est esthétique.
C’est un thème qui dans l’art apparaît vraisemblablement au XIXeme siècle. Le thème de la décollation de Jean-Baptiste a été traité de tout temps, mais c’est surtout le martyr du saint qui y est souligné, l’aspect prédateur de Salomé étant rarement abordé, hormis peut-être cette magnifique toile de Lucas Cranach, (http://www.wga.hu/art/c/cranach/lucas_e/9/05salome.jpg ) datant de 1530 ,qui évoque plutôt un félin avec sa proie.
Pour avoir une petite rétrospective, c’est ici.
Cependant, ce n’est vraiment qu’au XIXe siècle que l’on inspire des sentiments amoureux entre Salomé et sa victime. Indéniablement, en ce siècle magnifique pour l’art, les peintres abordent le thème de la décollation de l’amant, de l’attirance fatale et de l’amour impossible et terriblement romantique d’une vivante pour euh, la partie d’un mort.
Ce thème est venu par l’histoire d’Orphée. Au XIXeme siècle, la mythologie gréco-romaine est très à la mode, de part le développement de l’archéologie qui fait redécouvrir les traces du passé, et en cet honneur est joué à Paris l’opéra du compositeur XVIIIeme Gluck, Orphée et Eurydice, qui déchaîne l’imagination des peintres : à la suite de Poussin, qui en avait fait son interpétation en 1650, Emile Levy (1866), Jean-Baptiste Corot (1861), Machard (1865) offrent leur vision du mythe.
C’est là qu’apparaît Gustave Moreau, peintre symboliste que je révère, idolâtre, admire et aime. En 1866, il créer un motif qui va trouver beaucoup de succès : la tête d’Orphée coupée et posée sur sa lyre. Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire du malheureux Orphée, il s’agissait d’un poète (un poète ! ah ! je l’aime ! ^^) qui s’est rendu aux Enfers pour récupérer sa femme Eurydice morte à cause d’un serpent. Il a tant de talent que Hadès lui même se laisse émouvoir (Hadès ! ah ! je l’aime !). Malheureusement pour Orphée il désobéit à l’une des clauses du contrat consistant à ne pas se retourner en chemin pour voir sa femme, et il la perd à jamais. Le chagrin l’étreint, et les bacchantes, ces démentes suivantes du dieu de l’ivresse, jalouses de son talent, et peut-être aussi du fait qu’il ne daignait pas s’intéresser à elles, le mettent littéralement en morceaux. Moreau (ah ! je l’aime !) a ainsi imaginé que la tête du poète s’était posée sur sa lyre, et qu’une jeune fille les recueillait. C’est La jeune fille Thrace. On peut voir sur le tableau qu’elle contemple amoureusement la tête d’Orphée, qu’elle semble bercer, fascinée par ce monde que doivent à présent contempler ces deux yeux clôts.
Je trouve cela tout simplement magnifique. Ce motif a en tout cas beaucoup plût, puisque que Odilon Redon le reprend en 1880 (symboliste lui même, mais je dois admettre que son art ne m’émeut pas) puis par Jean Delville (que j’aime) en 1893.
Cependant, seul Moreau présente le thème de l’amour mortel dont il est question ici.
Toujours au XIXème, un autre mythe donne aux peintres l’occasion de représenter le thème : celui de Salomé. En 1877, Gustave Flaubert présente trois contes, dont Hérodias, inspiré d’un thème biblique. Celui-ci raconte la vengeance de Hérodiade, femme du roi Hérode, contre saint Jean-Baptiste. Celui-ci dénonçait les frasques de l’épouse, qui n’avait pu obtenir du roi qu’il tue Iaokannan, notre baptiste. Elle fait alors danser sa fille Salomé devant lui, et elle excelle tant à cet exercice que le roi fasciné lui promet ce qu’elle voudra… Salomé obtient ainsi pour sa mère la tête du prisonnier sur un plateau… Pour nos romantiques, il ne fallu pas longtemps avant de penser que Salomé était amoureuse du cousin de Jésus, et que ce n’était que par sa mort qu’elle pouvait le faire sien…
Devinez qui a traité le thème… Moreau ! dans plusieurs toiles présentant toute sa virtuosité il nous a laissé sa vision du mythe, qui semblait fort l’intéresser… Dans l’Apparition, de 1875, Salomé dansant désigne la tête du condamné…
Une autre toile montre Salomé dans la prison où saint Jean le baptiste est prêt à se faire décapiter, dans le fond. Elle a l’air troublée, attendant l’instant fatal.
Il y a, complètement dans le thème, Salomé au jardin, de 1878, où elle contemple la tête avec un air félin de satisfaction. Amour unilatéral et cruel allant jusqu’à la mort de l’homme désiré qui se refuse…
Moreau a peint d’autres versions de Salomé tenant le plateau, mais dans ces versions, elle regarde ailleurs, mais avec un air de jeune mariée au bras de son époux.
Je n’ai aucun talent dans l’exégèse, mais je vais donner mon interprétation de ce symbole de l’amant décapité. Il y a d’une part, la découverte d’un amour posthume. La jeune fille tombe amoureuse d’une représentation. Elle n’a devant elle que le vestige d’un être qui a cessé de vivre, elle ne voit qu’une part de lui. C’est une part totalement idéalisée, car l’amant n’est plus en mesure de s’exprimer. Elle projète sur lui ses idéaux sur l’amour, couplés d’une fascination pour la mort qu’il représente aussi. C’est l’éveil de la sensualité chez cette jeune fille qui s’éveille à la vie et à l’amour : ses pulsions de vie, l’amour, se mêlent à ses pulsions de mort (mort de l’amant), représentant la violence de la sexualité, qui l’attire autant qu’elle l’effraie. le tout avec cet espoir encore que l’amour survit à la mort.
Le symbole de la tête séparée du corps représente, dans l’onirisme, une coupure nette entre l’esprit et le corps. C’est donc clairement une idéalisation de l’amour, dont on rejète l’aspect purement charnel. On reproche souvent aux femmes, plus particulièrement aux jeunes filles s’éveillant au sentiment amoureux, de vouloir faire dominer dans l’amour cette spiritualité.
Je me retrouve bien dans cet aspect… je n’aime que par morceaux… je n’aime d’une personne que ce que j’en idéalise, et cet idéal n’est qu’une part d’elle… Je n’aime vraiment de tous ceux que je déclare ma flamme à longueur de journée que la tête, l’esprit créateur produisant ce qui m’exalte, le talent, purement spirituel. Je peux aussi m’exalter sur un physique, mais c’est parce que je suis une esthète 0:-), je n’apprécie que la forme, ce n’est encore qu’une part…
Le mythe de Salomé nous laisse voir une autre part, rejoignant un peu la première : la violence du désir, la cruauté de l’amour, quand les pulsions de vie et de morts sont intimement liées… Lorsque l’amant se dérobe, la mort devient la seule façon d’obtenir l’objet du désir. La tête devient alors un trophée, ce siège de la personne, alors offerte. (d’ailleurs les têtes plantées sur des pieux sont des trophées) C’est une appropriation, l’amante frustrée est alors sûre que celui qu’elle aime n’ira pas ailleurs, il lui appartient, éternellement. C’est le paroxysme d’une passion très forte, mais unilatérale, mais aussi très égoïste, puisque l’on refuse que l’être convoité soit heureux sans nous. Au contraire de ce que l’on a vu d’abord, une idéalisation de l’amour et de la personne aimée, on voit ici que cette même idéalisation, déçue, peut amener à la mort. Les sentiments ici ne sont pas candides, mais au contraire plein de force, et même de perversion. C’est une relation sadomasochiste, avec la maîtresse et l’esclave, esclave dont on ôte la vie si il déplaît à sa maîtresse. En même temps l’esclave affirme sa liberté : tu ne m’auras que mort. Triste trophée pour la maîtresse qui ne pourra assouvir que brièvement, et partiellement, la passion qui la dévore. La mort, seule alternative à un amour impossible…
La version, assez provocante, de Franz von Stuck, datant de 1906
Et voici Lucien Lévy-Dhurmer qui nous présente en 1896 un dessin au pastel plein de sensualité, semblant dire « et maintenant, est-ce que tu m’aimes ? »
J’ai conscience que l’analyse pourrait être bien plus poussée, bien mieux expliquée et beaucoup plus intéressante, mais on ne se refait pas. J’aimerais juste conclure en ajoutant que de mon point de vue, le cavalier Hessois de Sleepy Hollow serait une bonne version du thème, puisqu’il y a bien une jeune fille amoureuse de l’autre côté… bref
Ça ne se voit pas là mais il a la tête coupée
Dernière chose : on retrouve aussi ce thème dans le vampirisme. Le vampire est l’incarnation de l’érotisme, de la sexualité débridée voir dangereuse, avec cette violence des passions etc. Or ce vampire est tout de même un damné. Pour le « purifier », lui apporter la paix, il faut lui couper la tête… le vampire incarne la luxure, or la luxure, c’est mal, c’est le côté charnel de l’amour, alors pour le spiritualiser à nouveau… on coupe la tête.
Je ne sais plus si à la fin du Dracula de Francis Ford Coppola Mina embrasse la tête coupée de Dracula…
Je pense au contraire que le Vampirisme ne traite pas de mort mais de vie. Le vampirisme est sanglant, mais de sang chaud, vivant. Il plonge parfois dans la mort la victime, mais il n'est question que de vie dans ce domaine. Pour la mort, il faut plutôt parler de nécrophagie, en rapport direct avec l'inertie fatale et froide qu'offre un cadavre lors de sa putréfaction progressive. Il y a là deux monde, proche, mais distincts.