Eloignons-nous quelques temps des Enfers(on y reviendra vite, j’ai quelques sujets en préparation là-dessus, et puis c’est cool les Enfers) pour l’occasion de la Pentecôte. Comme tous les ans, un petit sujet prétexte à parler des légendes arthuriennes, puisque c’est le jour de la Pentecôteque le roi Arthur réunissait tous ses chevaliers pour faire le point sur la Quête du Graal et autres, dénombrer les morts, disparus, illuminés, boire un coups entre potes et colporter les derniers ragots.
Du coups aujourd’hui vous avez droit à la présentation et interprétation personnelle d’une toile d’Edmund Blair Leighton représentant Tristan (qui fait partie du club très select de la Table Ronde) et Yseult. Bon, j’aurais pu faire quelque chose de plus chevaleresque avec Perceval par exemple (mais vraiment pour prendre un exemple au hasard n’est-ce pas vu qu’on ne m’appelait pas du tout Madame Perceval en fac d’histoire, absolument pas) mais ça sera pour une prochaine fois.
Et puis Tristan et Yseult ça sera très bien, et j’adore ce tableau, alors c’est parti. Par contre, comme c’est un peu analytique, ça risque d’être enquiquinant, je vous préviens.
Le tableau présenté est une œuvre d’Edmund Blair Leighton, que j’aime énormément beaucoup, datant de 1902 et dont le titre est Tristan et Yseult, aussi connu sous le nom de The end of the song. Il est conservé dans une collection privée et c’est une huile sur toile mesurant 79x69 cm. Ce peintre anglais, que j’aime beaucoup (quoi je l’ai déjà dit ?) montre un très grand intérêt pour la période médiévale, qui représente le thème de la plupart de ses œuvres.
L’inspiration médiévale, le soin extrême apporté au dessin et aux détails, l’influence romantique des compositions, l’insèrent dans le mouvement préraphaélite, que j’aime également beaucoup. Autre préraphaélite que je révère : Dante (avec un nom pareil, aussi) Gabriel Rossetti.
Ce tableau illustre le mythe littéraire de Tristan et Yseult, tombés amoureux l’un de l’autre après avoir bu un philtre destiné à Yseult et à son futur mari, Marc (parce que l’amour conjugal ne va pas de soi, même si c’est mieux pour tout le monde). Ils doivent alors tenter de cacher cette passion adultère.
Cette toile est d’abord une illustration de l’amour courtois, mais nous verrons aussi comment l’artiste en fait une mise en scène dramatique.
La scène de ce tableau est tout à fait courtoise dans sa réalisation, à savoir qu’elle met en avant l’amour impossible de deux jeunes gens. Enfin, dans mes souvenirs, l’amour courtois, c’est un chevalier, genre Tristan, en amour réciproque pour une dame (mariée, donc) genre Yseult, qu’il doit lui prouver par sa valeur et ses prouesses, mais qui n’est pas sensé aboutir à une relation charnelle. Dans la théorie, hein. Le dessin, ici, comme l’amour courtois, montre une idéalisation. Les deux personnages principaux, Tristan et Yseult, au centre du tableau, ont une beauté idéalisée (même si l’on est en droit de se montrer dubitatif quant à la beauté de la frange de Tristan, mais passons), et l’ensemble de l’œuvre est exécuté avec beaucoup de rigueur, presque photographique. Le moindre détail est pris en compte et représenté avec réalisme, ce qui permet en même temps à l’artiste de montrer sa grande connaissance de la période médiévale, même si l’ensemble, notamment dans le costume, n’est pas vraiment XIIe, grand siècle d’écriture du cycle arthurien, qui insérait ces légendes dans son époque, alors que les faits relatés remontent à la fin de l’empire romain, si je ne conte point de billevesées, et ça, pour l’Occident c’est au VIe siècle. Là Leighton dans le costume nous fait un petit mélange fantasmé médiéval, nan mais genre Yseult elle n’a pas de coiffe cette gourgandine !! durant tout le Moyen-âge, une femme « en cheveux », c’est-à-dire sans coiffe, donc, c’est comme si elle était nue. Le pouvoir érotique du cheveu en est en partie la cause, quand on est n’est pas une allumeuse, on les range, autrement c’est qu’on est une catin.
Tristan est un chevalier, mais il est aussi très connu pour ses talents de harpiste. Mais, si, puisque je vous le dit. C’est sous cet aspect qu’il est ici représenté. En effet il a un costume très simple –mais élégant- qui ne laisse en rien deviner ses qualités guerrières, costume qui est même abîmé par endroits –faudra me croire sur parole là-dessus, à moins que vous ayez de bons yeux- ce qui rend le contraste avec le costume somptueux d’Yseult encore plus saisissant.. Et cela rattache à la tradition de l’amour courtois venant des troubadours qui chantaient les louanges d’une dame inaccessible. La représentation d’instruments de musique médiévaux est fréquente chez Edmund Blair Leighton, qui par ailleurs les collectionnait, et on en retrouve notamment dans My Fair Lady ou dans Faded Laurels pour la harpe.
My Fair Lady, 1914 je l’aiiiiiiiiiiiiiiiime <<3
Le personnage central du tableau est clairement Yseult. L’œil du spectateur est tout de suite attirée sur elle, pour plusieurs raisons. D’abord la splendeur de son costume, contrastant avec celui de Tristan, et surtout sa couleur. La palette générale du tableau, très riche, reste cependant dans les bruns et dans des teintes plutôt sombres. Or, le costume d’Yseult est de couleur très vive, et représente de loin l’élément le plus coloré. En outre, elle est en pleine lumière quand les autres personnages sont moins éclairés (mais si), si bien que l’on peut avoir l’impression que cette lumière émane d’Yseult elle-même. Elle qui est la dame chantée et glorifiée, et tenant pour cela la place d’honneur, celle qu’elle tient dans l’amour courtois.
L’œuvre est très géométrique, délimitée par de nombreuses structures verticales, comme les arbres, ou les colonnes, et horizontales, comme la banquette où sont assis les deux amants ou le dallage au sol. Tristan et Yseult sont en quelque sorte enfermés dans cette structure de pierre, comme en une alcôve. Cette géométrie est brisée dans cette alcôve justement par des lignes courbes que l’on retrouve dans la harpe ou les colonnes torsadées. L’impression générale du tableau est très sereine, les couleurs sont plutôt chaudes et douces. La forêt derrière permet une ouverture sur la nature favorisant le sentiment amoureux. Je vous laisse le soin de l’interprétation de la peau de bête pour le coups à leurs pieds.
Cette toile donne l’impression d’une scène prise sur le vif, d’un instantané. Le spectateur se retrouve témoin d’un instant fugace. Le titre laisse supposer que cette scène se situe juste après la fin d’une chanson où Tristan a du chanter son amour pour sa dame, parce que si c’était pour quelqu’un d’autre, ça la foutrait mal quand même. Tristan se penche sur Yseult et semble sur le point de l’embrasser, alors qu’elle même est visiblement troublée et sous le charme, les joues rougies. C’était peut-être une chanson grivoise, en fait. Durant ce temps, Marc, montant l’escalier derrière, regarde les deux jeunes gens d’un air de suspicion et d’interrogation, du coups il vérifie que sa barbe, attribue de la mûre virilité, est toujours là pour le conforter maintenant qu’il voit un jeune coquelet imberbe se rengorger auprès de sa poule. Ici, l’attitude des personnages peut paraître caricaturale, mais permet bien au spectateur de saisir ce qui est en train de se nouer sous ses yeux, (un combat de coq en perspective) rendant le tableau très vivant.
Le tableau aurait très bien pu ne représenter que Tristan et Yseult, la présence de Marc, tout à fait excentrée sur la droite, pouvant être facilement occultée. La scène aurait alors été simplement galante. Mais l’histoire de Tristan et Yseult est marquée par ce drame de l’amour impossible, Yseult étant mariée à Marc, et cela donne une nouvelle dimension au tableau. Le spectateur sait que le bonheur des deux amants est sur le point d’être brisé par le roi, qui, plongé dans l’ombre, approche sans être vu. La perspective de danger qu’il transporte est rendue plus manifeste par la couleur rouge de son vêtement, et surtout par la garde très visible de son épée, qui annonce qu’il va y avoir du vilain. Pas du vilain genre un gueux qui rapplique, enfin, vous aviez saisi. Le tableau perd alors son apparente sérénité et renforce le sentiment qu’un drame va se jouer sous peu. La sombre forêt derrière les amants prend elle aussi une autre dimension : celle où ils seront forcé de fuir devant la jalousie meurtrière de Marc. L’ange sur la broderie montre peut-être que malgré tout les deux amants sont sous protection divine. Eh oui, dans la suite Tristan et Yseult vont vivre à la sauvage dans la forêt. Après, ça dépend des versions, ils y restent jusqu’à ce que le philtre ne fasse plus effet, ce qui est plutôt triste, ou bien jusqu’à ce que le confort manque trop à Yseult. Dans tous les cas, elle revient chez Marc, et Tristan se marie avec une autre Yseult, et ils vivent chacun assez malheureux de leur côté jusqu’à ce que Tristan en clamse. Il avait fait appeler son vrai amour histoire de la revoir une dernière fois, mais à cause de sa fourbe femme, elle arrive trop tard, et je crois qu’elle aussi en meurt de dépit. Unhappy end.
Mais il se place plein d’autres choses dans les différentes versions, aussi je ne puis que vous recommander de lire cette belle histoire. Il existe une édition à 2 euros bien foutue et en plus avec la version vieux français, donc que demande le peuple, à part du pain, des jeux, et des livres pas cher ??
Là, j’en profite pour vous montrer Faded laurels dont j’ai parlé tantôt, et qui me rappelle furieusement une autre toile exposée présentement au Louvre, Les illusions perdues ou Le soir, de Gleyre (le nom ne fait pas envie, je vous l’accorde)
le thème classique du jouvenceau qui fait oublier le vieux maître… ben finalement c’est un peu ça aussi dans Tristan et Yseult.
J’en profite tant qu’on est dans le thème : Tristan et Yseult version Dante Gabriel Rossetti, 1867
Tristan and Isolde drinking the love potion
Et puis tant qu’on y est une magnifique Yseult par Dicksee. J’avais fait un commentaire d’une de ses oeuvres là
Autrement, j’en profite pour dire que j’ai eu un coups de cœur pour l’expo Crime et Châtiment. Pas parce que c’est un truc malsain avec une guillotine et des représentations macabres, mais surtout parce que j’y ai retrouvé un grand nombre de mes peintres fétiches : Blake, Moreau, Füssli, Von Stuck, Schwabe, Delacroix, Géricault, Goya, Rops, Levy-Dhurmer… excusez du peu !
Par contre, il manquait quelque chose d’essentiel… en effet, rien, pas la moindre petite place accordé à l’exécuteur et à sa représentation. Pourtant ils étaient là, sur l’échafaud, mais non, rien, pas un mot, malgré leur place particulière, et très malaisée, dans le système du châtiment du crime. Vraiment, cette figure controversée mérite vraiment qu’on s’y intéresse, justement parce qu’ils se trouvent au milieu, entre deux mondes, obligés de tremper leurs mains dans le sang pour punir ceux qui ont fait couler le sang.
Qui plus est, la dynastie Sanson est bien connue et a produit des documents très intéressants, et je sais qu’il en existe toujours. Raconter un peu son histoire aurait amené une humanité et une émotion dont on prive trop souvent ces hommes.
On peut quand même voir Charles-Henri, sur une petite toile de 1793, document d’époque, témoin oculaire ! C’est, sur l’échafaud, le personnage sur l’extrême droite, en bleu. Il avait méchamment la classe, ce qui lui valut des quolibets.
Par Pierre Antoine Demachy
Bref, c’est un sujet pour lequel j’ai une affinité particulière, et d’ailleurs je l’avais déjà évoqué ici.
Et pour finir, en super cadeau bonus, une représentation de l’Enfer par Füssli, exposée à l’expo susmentionnée, juste parce que j’aime ( en plus de Füssli, Dante, Virgile, la Divine Comédie, l’Enfer) les supers bras musculeux de culturiste que notre artiste a prêté au frêle poète Virgile. On sent quand même hachement l'influence de Blake dans son trait, je trouve.
Un de ces jours il faudra quand même que je pense à faire un super article sur mes chéris, quand même. Et éventuellement sur Paolo et Francesca qui ont déchaînés avec bonheur les peintres au XIXe.
Vale, et que vostre queste personnelle del sainct Graal vous mesne par de verdoyants sentiers serpentants dans des forests de lesgendes dans lesquelles vous entendrez de loin en loin les chants des temps anciens.
Et non je ne me drogue pas pour faire des épilogues aussi pourris, ce qui est pire. et maintenant, cap sur la Tamiiiise