En cette belle période d'élection, il me semblait approprié de montrer ce qui a cimenté notre république !
la Terreur a été une bien sombre période de notre histoire, où l'on envoyait chaque jour à la guillotine des trentaines de personnes, pendant de bien longs mois… le nombre de victimes est de près de 2 000 pour la seule ville de Paris. Le seul fait d'être accusé signifiait être condamné, car la sentence dépendait du bon vouloir d'un jury très peu regardant. Bien entendu, chaque régime a eut ses carnages, ses massacres, ses atrocités et ses flots de sang. Si vous voulez mieux connaître cette période, et d'un point de vue plutôt inattendu, je vous enjoins de lire le journal de Charles Henri Sanson, exécuteur des hautes et basses œuvres de la ville de Paris durant cette triste période.
Son témoignage est empreint d'une humanité que ne laisse pas supposer son office, et il prend véritablement aux tripes. Si au début il décrit le déroulement de l'exécution dans le détail, (s'en est parfois insoutenable) comme celle de Louis XVI, son épouse ou encore les Girondins, le décompte mortel n'en finissant plus de s'allonger, à la fin il ne fait que recopier inlassablement le nom des exécutés du jour, un alignement dont la longueur évoque presque plus d'effroi que la description de l'inhumanité de certains jury. Charles Henri était très compatissant envers ses victimes, et il tentait parfois d'en faire évader quelques uns sur le chemin jusqu'à la guillotine (appelée parfois alors « le rasoir de Charlot ») il n'a réussi qu'une fois, au tout début du carnage. Les condamnés étaient souvent étonnés de son comportement.
Son journal aurait pu le faire passer sous la lame de son propre instrument, lorsqu'il plaint le roi ou décrit le courage de certains condamnés. Pour lui, peu importait ce qu'avaient fait ces personnes pour être condamnés, ou leurs opinions politiques : lui ne voyait que des personnes qui allaient mourir. Je crois qu'il a démissionné avant la fin de la Terreur, malade, sujet à de sanglantes visions. Il était horrifié par le comportement de nombreux condamnés, dont quelques uns par exemple avaient répété leur exécution dans leurs cellules, demandant même des conseils à Charles Henri qui passait. En montant sur l'échafaud ils étaient tout guillerets. La vie avait perdu toute valeur, et beaucoup ne craignaient plus de la perdre. Son journal est connu par son petit fils, Henri Clément Sanson, lui aussi exécuteur de la ville de Paris, puisque cet office était héréditaire, durant la période romantique. Il a rassemblé les traces de ses prédécesseurs pour écrire l'histoire de sa famille, sur 7 générations, d'où le titre de son ouvrage « sept générations d'exécuteurs » si je n'ai lu que le journal de Charles Henri, il me faut impérativement me procurer l'ouvrage complet !
Dans ledit journal, Charles Henri avait noté le poème d'un condamné, qu'il avait commencé à composer avant même que l'on prononce la sentence, certain de son dénouement. Il s'agit de Nicolas Roland de Montjourdain, ex noble, commandant du bataillon de St Lazare, âgé de 37 ans, né à la Rochelle, département de la Charente Inférieure, domicilié à Paris, département de la Seine, condamné à mort le 19 pluviôse an 2, par le tribunal révolutionnaire de Paris, comme complice des conspirations des 20 juin et 10 août 1792, tendances à Troubler l'état par une guerre civile en France, en armant les citoyens les uns contre les autres, et contre l'exercice de l'autorité légitime. Ce qu'il a composé est connu sous le nom de Romance de Montjourdain, sur l'air de Vaudeville de la soirée orageuse. Elle a été chantée dans tout Paris à l'époque.
L'heure avance où je vais mourir,
L'heure sonne, et la mort m'appelle :
Je n'ai point de lâche désir,
Je ne fuirai point devant elle.
Je meurs plein de foi, plein d'honneur ;
Mais je laisse ma douce amie
Dans le veuvage et la douleur…
Ah ! je dois regretter la vie !
Demain mes yeux inanimés
Ne s'ouvriront plus sur ses charmes ;
Tes beaux yeux à l'amour formés,
Demain seront noyés de larmes.
La mort glacera cette main,
Qui m'unit à ma douce amie ;
Je ne vivrai plus sur son sein…
Ah ! je dois regretter la vie !
Si dix ans j'ai fait ton bonheur,
Garde de briser mon ouvrage ;
Donne un moment à la douleur,
Consacre au plaisir ton bel âge.
Qu'un heureux époux à son tour,
Vienne rendre à ma douce amie
Des jours de paix, des nuits d'amour ;
Je ne regrette plus la vie
Je revolerai près de toi
Des lieux où la vertu sommeille ;
Je ferai marcher devant moi
Un songe heureux qui te réveille.
Ah ! puisse encore la volupté
Ramener à ma douce amie
L'amour au sein de la beauté ;
Je ne regrette plus la vie.
Si le coups qui m'attend demain
N'enlève pas ma tendre mère ;
Si l'âge, l'ennui, le chagrin
N'accablent pas mon triste père ;
Ne les fuis pas dans la douleur,
Reste à leur sort toujours unie ;
Qu'ils me retrouvent dans ton cœur,
Ils aimeront encore la vie.
Je vais vous quitter pour jamais ;
Adieu plaisirs, joyeuse vie,
Propos libertins et vins frais.
Qu'avec quelque peine j'oublie !
Mais j'ai mon passeport : demain
Je prend la voiture publique,
Je vais porter mon front serein
Sous la faux de la République.
Mes tristes et chers compagnons,
Ne pleurez point mon infortune,
C'est dans le siècle où nous vivons
Une misère trop commune.
Dans vos gaîtés, dans vos ébats,
Criant, buvant, faisant tempête,
Mes amis, ne m'avez-vous pas
Fait quelquefois perdre la tête
Quant au milieu de tout Paris,
Par un ordre de la patrie,
On me roule à travers les ris
D'une multitude étourdie,
Qui croit que, de sa liberté,
Ma mort assure la conquête ;
Qu'est ce autre chose, en vérité,
Qu'une foule qui perd la tête.
Edit 09/06/09 : voilà belle lurette que je possède « Sept Générations d’exécuteurs », qui est un très beau témoignage, enfin, beau, poignant surtout, vu ce qu’on y décrit…
Toujours très intéressée par la période, il est vraiment étonnant de constater que la vie avait perdu toute valeur, et que les jeunes gens avaient des attitudes franchement badines, pour ne pas dire glauques, l’horreur quotidienne déclenchant une fureur de vivre. Et une frivolité certaine. Peut-être ferais-je un jour un article plus complet dessus, mais en 1794 surtout, apparut une mode vestimentaire et capillaire assez particulière. Les femmes portaient des rubans rouges ou noirs autour du cou, rappelant la décollation, et leurs robes arboraient dans le dos et sur les manches des « croisures », rubans croisés, comme pour « marquer la cible ».
ah, et je ne parle pas de la coupe des vestes masculines qui cachaient la tête, ce qui fait que, de dos, on pensait que la personne en était dépourvue…
Capillairement, la mode était à la coupe « toilette du condamné » : avant leur exécution, les condamnés se faisaient couper les cheveux dans « l’antichambre de la mort » si je me souviens bien, par l’exécuteur et ses aides. C’était indispensable, pour que la lame de la guillotine ne dérape par sur les cheveux, ce qui pourrait occasionner une exécution très malpropre et douloureuse. Charles-Henri, « monsieur de Paris » était une véritable célébrité dans la capitale –bien malgré lui- et je suppose que ces jeunes fanfarons auraient adorés se faire couper les cheveux de sa main même. Les femmes comme les hommes s’y collaient. C’était la coupe « à la victime » Les hommes (Muscadins et Incroyables comme on les nommait à l’époque) parfois se coupaient juste les cheveux dans la nuque, les laissant long sur les côtés du visage, évoquant ainsi… un cocker. C’était cela l’élégance à l’époque…
Ah, et aussi, un club très fermé vit le jour : le bal des Victimes : pour y avoir accès, il fallait pouvoir prouver que l’on avait dans sa famille au moins une personne exécutée ! Apparemment c’était un club très demandé…
Etrange et terrible époque…
Hier j'ai vu le film réalisé sur Marie-Antoinette. Il ne se termine pas par l'échafaud, mais juste par un départ... un autre départ...