(traduit d'un patois médiéval)
Le départ a plusieurs fois semblé contrarié à cause d’une inconcevable malchance avec les chariotes indispensables pour traîner tout le tremblement nécessaire à la bonne marche du camps. Fort heureusement, tout à pu être embarqué et le convoi de chariotes parées comme pour la guerre est parti pour le fier castel de Roquetaillade. Dans la nôtre, la boîte magique d’Amduscias* diffusait une musique collant parfaitement avec notre environnement, qu’il s’agisse d’un danger imminent ou de la rencontre avec des ouvriers maures.
L’arrivée au castel lui même était fort impressionnante, sous ce ciel gris menaçant. Mais point de temps aucun pour traînailler, le camps doit être monté au plus vite, et la compagnie qui méconnaît le mot efficacité se trouve forcée de l’appliquer. Un nouveau drame se joue, entre les piquets qui refusent de tenir et le toit de la petite tente qui baille à se damner. Les cantinières, déjà épuisées après le port de pierres pour le bivouac (nous ne sommes que de frêles demoiselles), doivent se mettre immédiatement à l’ouvrage, qui va durer une partie de l’après-midi, interrompu par une pluie battante. Les mâles quant à eux s’affairent à trouver du bois pour entretenir le feu et rangent leurs affaires (ce qui fut rapide pour nous, pauvres gueuses ne possédant rien). Ils tentent également de retirer la rouille de la marmite, sans succès.
La marmite restera donc accrochée à la crémaillère, parce que ça fait classe, mais elle ne donnera jamais qu’un infâme bouillon de sorcière tout de même très prisé par les visiteurs. Notre nourriture est elle préparé dans une marmite en céramique placée sur les braises où elle cuit pois chiches, pois cassés, haricots blancs, lentilles, et autres joyeusetés apportant une atmosphère conviviale, surtout dans la tente le soir venu (avec du lard restant en permanence dans le bouillon et sera ainsi recuit un nombre de fois extravagant). Il faut ajouter à cela une belle patte de jambon (contre laquelle j’étais dans la chariote) et du pain en quantité, sans oublier, naturellement, l’élément indispensable : la bonne vinasse ! Ah charmant hypocras donnant du cœur à l’ouvrage, gentil sauget redonnant vigueur !
Une chose est certaine, une bienheureuse ambiance règne sur notre troupe, aussi résistante que notre feu.
Parties faire la vaisselle, Guenièvre et moi rencontrons des cheftaines de scoutesses établies non loin et elles se montrent très intéressées à rencontrer nos maîtres pour leur rendre hommage. Qui ne voudrait, il est vrai, connaître si noble et preuse compaignie !
Le feu, justement, est encore fragile, et le soir venu il est décidé que chacun se lèvera à son tour veiller sur lui. Il est difficile de ne pas se rendormir, malgré le froid, et l’insigne honneur de veiller en compagnie du sire Baron de Puyseignac lui même, et c’est le froid justement qui rend le sommeil long à revenir une fois revenue dans la tente que le sire de Lantenay a bien daigné partager avec la gueusaille.
Les activités, une fois le camps établi, ne varient pas énormément. Les hommes coupent du bois, nettoient leurs pièces d’armes, s’apprêtent devant les visiteurs avides, s’entraînent… les gueuses cousent, vont chercher de l’eau, font la vaisselle et la nourriture (parfois). Des visiteurs détournent quelquefois leurs pas du château pour venir nous voir. Ils sont vêtus de façon on ne peut plus extravagante et ridicule. Les femmes sont très indécentes, se promenant partout les cheveux découverts et les jambes nues. Les hommes ne sont pas en reste et au mépris de la distinction la plus élémentaire, vaquent sans couvrechief. Ils mettent devant leurs yeux d’étranges boîtes en nous demandant de ne pas bouger. Philippe nous a dit qu’ils faisaient des enluminures de cette façon. Voilà bien insolite idée !
Mais le château tout proche est aussi source de curiosités et d’émerveillements ! d’extérieur très imposant et majestueux, l’intérieur, que la châtelaine nous fit l’honneur de nous inviter à visiter, est d’un raffinement propre à émouvoir l’âme sensible d’une cantinière facilement impressionnable, ce qui ne fut pas le cas de tous ces nobles seigneurs, le trouvant trop décalé, voir même, horreur, dégradé. Pourtant le maître Viollet le Duc y porta sa talentueuse main et son génie (et je crois que c’est bien ce qui leur posa problème). A côté de ce magnifique castel en est un autre, très délabré, et ces ruines offrent au clair de lune un spectacle propre à émouvoir une âme sensible, avec ce panorama impressionnant.
Le mardi soir, une armée de jeunes scoutesses dévergondées débarqua dans notre camps pour venir admirer nos seigneurs, pas peu fiers d’exhiber leurs belles pièces d’armures et leurs armes tranchantes. Ne doutez pas que les donzelles durent forts impressionnées, et pour remercier nos bons seigneurs elles entamèrent un chant qui m’emplit d’effroi tant la cacophonie semblait en faire une musique tout droit venue des Enfers ! Nous les fîmes danser, ce qui leur procura une joie qu’on ne saurait décrire. Puis, la nuit étant tombée, la joyeuse troupe retourna dans son campement. Les cheftaines restèrent avec nous, ainsi que la gente personne qui nous avait fait visiter le château le matin, et elle avait apporté un bon liquoreux dont Philippe abusa quelque peu. Il déclara vouloir épouser la jeune dame, être heureux que l’alcool annule l’effet des flatulences, annonça à Guenièvre et à moi même que nous étions de bonnes cantinières, puis accusa le sire de Vildieu de m’exploiter, ce qui m’horrifia puisque ce n’était pas le cas. A dire vrai, c’était plutôt moi qui exploitait ledit sire de Vildieu, lui ayant honteusement forcé la main pour pouvoir coudre sa chemise.
Le mercredi fut la journée la plus torride de la semaine. Le matin était toujours couvert, l’après-midi caniculaire et le soir plein d’éclairs. Mais cet fois le soleil cogna si fort qu’il me brûla vilainement et fort cruellement les bras, ce dont je souffre toujours. Tentez de me plaindre, car perdre la pâleur de son teint est détourner les mâles regards. Cet après-midi là, la compaignie perdit totalement le sens du terme efficacité, écrasée par l’ardente chaleur. L’humeur fut pourtant fort joyeuse, et les salaceries, déjà omniprésentes sur le camps, pleuvaient à une telle vitesse dans mes chastes oreilles qui nous nous demandâmes si un élément extérieur n’était responsable de cette euphorie maligne. La suspicion se porta sur l’air environnant, l’herbe sur laquelle nous marchions, la vinasse, le soleil et la chaleur sur nos crânes, ou encore la fumée provenant de la crémation des arbres peut être maléficiés.
Le sieur de Vilideu et Philippe le Roseau semblaient les plus atteints alors qu’ils coupaient le bois, inventant une petite chanson pour l’occasion. Il y eut une sombre histoire à propos du rondin de Philippe qu’il caressait lascivement pendant que messire Tristan le coupait. Le soir, cela dériva même, puisqu’en dessalant la morue prévue au dîner du lendemain, Guenièvre fit remarquer que la morue s’était autant amollie que le rondin de Philippe. Notre archer gagna ainsi le charmant surnom de Morue Molle, voir de Molle Morue Maso, après certains de ses dires. Cela fut d’ailleurs utilisé pour la veillée puisque nous demandâmes à notre poète (à prononcer pouet, le mot fétiche de la compagnie, enfin, de certains) de nous conter une histoire. Celle-ci eut donc pour protagonistes Morue Molle (Philippe), Marco le Maquereau (le sieur Baron), Mariette la Mouette Guenièvre), et la Morue Mégère (moi même) je ne vois d’ailleurs pas pour quelle raison on me donne telle réputation ! mais comme je dis, mieux vaut être une morue qu’un thon !
Le lendemain, beaucoup de visiteurs vinrent nous voir. Messire Tristan de Vildieu et Messire le baron Guérin de Puyseignac durent partir régler d’autres affaires, et le sire de Lantenay nous permis fort généreusement, à Guenièvre et à moi même, de dormir dans la tente qu’ils laissaient. Nous nous faisons toutes deux une joie de pouvoir enfin dormir sur une paillasse, sous de chaudes couvertures, sans Philippe et sa perversion ! Philippe que nous liâmes avec des cordes, bâillonné, le tout sur son expresse demande…
La châtelaine nous permis de visiter une partie de son castel interdite à ses visiteurs habituels, ce dont nous fûmes très honorés. Elle nous confia les clefs du donjon à l’assaut duquel nous partîmes ! Il fallut monter un interminable escalier à vis, mais le spectacle en valait bien la peine ! les salles étaient délabrées, offrant une vision pleine de tristesse quand on pensait à ce que cela avait du être jadis. Les plafonds étaient très bien conservés, et heureusement, contrairement aux sols défoncés. Sur le chemin de garde intérieur, nous vîmes de petites chauves souris accrochées aux fenêtres pleines de toiles d’araignées, ce qui me rappela Viollet le Duc que j’aurais voulu pouvoir épouser, quoique l’on m’ait dit que son état ne le permettait plus. Nous fîmes un tour sur les toits de même, venteux et offrant une vue imprenable sur les environs. Mais voyant de loin notre dîner brûler (avec la morue) nous ne traînâmes pas.
Et c’est là qu’un drame se noue sous nos yeux sans que nous ne le voyions ! après un repas de fête, le soir tombant nous trouva autours d’une bonne chope d’hypocras, attablés sous le auvent, éclairés par la lanterne en train d’écouter attentivement messire Roger de Lantenay nous conter ses mésaventures. Alors que minuit sonnait, -heure sinistre ! la pluie commença à tomber doucement. Nous nous apprêtions à aller nous coucher, et il fallut opérer dans l’urgence quelques manipulations pour sauvegarder le matériel, tels le rassembler au milieu des tentes pour ne pas qu’il se fasse tremper par les murs de la tente. Le sieur Roger et Philippe partirent chercher leurs chariotes pour évacuer le matériel, la tente menaçant de s’effondrer. Nous n’étions éclairés que par la faible lumière de la lanterne du auvent, et par celle que Roger me tendit, derniers remparts face à un monde de ténèbres déchaînées vomissant sur nous des torrents d’eau glacée. L’ire du ciel ne s’arrêtait pas là puisque vinrent en fanfare des hordes de cauchemars répandant vent et tonnerre, pluie et éclairs, éclairs qui nous environnaient sans jamais vraiment s’approcher, déchirants le ciel par intermittence, figeant la scène apocalyptique l’espace d’une de nos respirations haletantes. Les chariotes vinrent en renfort nous éclairer, mais la luminosité nous aveuglait plus qu’autre chose... Et nous étions là, virevoltants, comme des papillons affolés autours d’une torche, évacuant la grande tente qu’il fallait affaisser avant que les poteaux ne lâchent… A ce moment là, nous fûmes plongées dans une grande lumière blanche, et un fracas de fin du monde s’abattit sur nos tête. Mon pauvre cœur manqua de prendre congé et je compris que la foudre n’était pas passé loin avant de retourner, les jambes flageolantes, apporter mon maigre soutien.
Une fois la grande tente affalée, nous regardâmes à l’abri du solide auvent les restes du camps. Il fut décidé que Guenièvre et moi même dormirions comme prévu dans la petite tente transformée en débarras pour surveiller le camps et le feu, qui tenait toujours vaillamment sous la pluie battante. Le sieur Roger, qui s’était résolu d’aller dormir dans le refuge en contrebas avec Philipe, n’ayant plus d’autre abri, retourna dans la petite tente récupérer un de ses coffres pour le placer à l’abri du auvent, ladite tente étant trop petite pour ledit coffre. Il faut se représenter le temps plein d’épouvantements, les rafales de vents rabattant les hordes d’eau sur nous, dégoulinants exhalant de petits fantômes de vapeurs par nos lèvres tremblantes de froid, alors qu’autours de nous l’orage se déchaîne avec fracas, le monde nous semblant s’écrouler à chaque coups, comme si nous étions sur le champs de bataille d’une guerre céleste usant de titanesques canons, rendant l’atmosphère glauque au possible. Les lumières des chariotes sont en plein dirigés sur la tente, ce qui fait que nous distinguons tous les faits et gestes de sire Roger qui empoigne héroïquement le coffre et le sort de la tente, qui s’écroule juste à ce moment là derrière lui, donnant à l’instant un souffle épique d’une rare intensité. Mais nous n’avons pas le loisir de méditer sur cette vision de bravoure, car l’heure est grave, il faut à présent évacuer tout ce que contenait la tente dans les plus brefs délais, et tout entasser dans les chariotes déjà surchargées. Les étoffes, les pièces d’armures, il faut faire vite, et la pluie qui s’était calmée reprend de plus belle, et le ciel frappe toujours la terre dans une sarabande de feu…
Ceci fait, nous revoici sous le auvent contemplant tristement les restes du champs de bataille, après une défaite contre un invincible adversaire. Le sire de Lantenay entasse les dernières bûches sur le feu, et nous devons nous contraindre à abandonner la place aux forces dévastatrices du ciel, pour nous replier humblement en contrebas, dans le refuge. Le fracas s’éloigne, nous voici au chaud, à l’abris. Nous troquons nos vêtements trempés contre des secs, et nous attablons autours d’un réconfortant verre d’hypocras et petits gâteaux exotiques, alors que messire de Lantenay nous lit les nouvelles du pays (c’est le seul qui sache lire) celles-ci sont d’une telle cocasserie que nous nous remettons vite, dans cette ambiance conviviale, de nos émotions tout juste passées. Le sommeil ne tarde pas à alourdir nos paupières pendant que j’imagine comment l’on contera notre déconvenue la semaine suivante, dans des termes comme « le camps prend l’eau ». L’abri comporte de quoi passer une bonne nuit, ce que nous ne manquerons pas de faire après une ultime frayeur provoquée par Guenièvre entrant brusquement dans la chambre avec des hululements tandis que Philippe et moi parlions dans la pénombre d’enluminures représentants des gens morts.
Le lendemain, triste tâche que de devoir tout remettre en ordre, plier les tentes trempées, effacer nos traces du lieu, pour repartir chez nous. Le pire étant ce large soleil brûlant nous narguant de là-haut, comme un défi. Funeste fin pour notre fier camps, mais nous ne nous avouons pas vaincu ! au mois d’août nous reviendrons prendre d’assaut ce terrain hostile, la châtelaine se montrant ravie de l’initiative…
*Amduscias est un démon qui permet, une fois invoquer, d’entendre de la musique sans en voir les instruments.
Seul bémol, mon nom est Lanthenay avec un H :D, mais bon ce n'est qu'un détail.
Pourrais tu mettre une copie de ce récit sur le forum avec tes photos sur le forum afin que tout les membres puissent le lire ?