« Je chante l’arme et le héros… » Bravo à ceux qui ont reconnu la première partie du premier vers de l’Enéide de Virgile <3 (mais d’où vient la trace de sang maculant la tranche de mon exemplaire ??)
Un tel titre, et une telle référence, car aujourd’hui, nous allons (mode Louis XIV power) parler épopée. Et plus précisément, toujours dans le cadre de la fête de Diwali, des épopées made in India. Enfin, d’une plus particulièrement, contée lors de cette fête, le Ramayana.
Le Râmâyana est, avec le Mahâbhârata, l’un des fondements de la littérature hindoue. Ces deux poèmes sont très amples, puisque le premier contient 96 000 vers (soit 24 000 de 4 vers) et le second 440 000 vers (soit 110 000 stances de 4 vers) quand L’Iliade en comporte plus de 15 000, l’Odyssée 12 000 environ, et l’Enéide 9 891 exactement. Pour donner une idée de l’ampleur.
Quant à la rédaction de ces deux monstres sacrés des légendes hindoues, il y a, comme pour l’Iliade et l’Odyssée, controverse. Il ne me semble pas blasphématoire d’avancer que toutes ces œuvres ont été rédigées après une longue tradition orale, ce qui exigé des compilations qui ont elles même pu prendre du temps. Mais de fait, on considère généralement que le Râmâyana et le Mahâbhârata sont contemporains, et qu’ils dateraient, pour leur commencement, du Ve siècle avant notre ère, quoique qu’il n’y ait aucune certitude. La rédaction définitive, elle, est plus tardive, dans les premiers siècles de notre ère.
Rien de très précis tout cela. Mais autant on attribue l’Iliade et l’Odyssée à l’aède aveugle Homère, autant le Râmâyana est considéré pour sa part comme l’œuvre de l’ermite Valmîki. Il me semble que selon la tradition l’un des protagonistes de l’histoire aurait trouvé refuge dans sa grotte à un moment et lui aurait raconté toute l’affaire, mais il se peut que j’hallucine ce passage. Je suis très forte pour imaginer/déformer des informations.
Pour l’histoire du Râmâyana, la voici:
Nous sommes dans le royaume d’Ayodhya. Son souverain, Dasaratha est béni après ses prières d’une nombreuse progéniture mâle de ses trois différentes épouse. De son épouse principale, Kausaalya, naît Râma, le héros de notre histoire (pour faire une révélation). Celui-ci s’entend comme lardon en poêle (expression oggienne) avec son demi-frère Laksmana, qui l’accompagne durant les diverses quêtes qui l’attendent. Encore adolescents, ils partent ainsi défaire des démons qui pourrissaient le groove d’un certain Visvamitra qui en échange apprend des trucs supers à Râma, genre des formules magiques d’invincibilité, ce qui peut toujours servir, n’est-ce pas.
Sur leur lancée, ils vont chez un roi qui propose un défi intéressant : celui qui réussira à bander l’arc de Shiva épousera sa fille, la belle Sitâ. Ca a l’air facile comme ça, encore faut-il avoir la force d’un dieu pour maîtriser son arc ! Pourtant, Râma y parvient, et épouse Sitâ.
Et là ça devrait vous rappeler un épisode de l’Odyssée : celui où les prétendants de Pénélope doivent parvenir à bander l’arc d’Ulysse pour pouvoir l’épouser, et que personne d’autre que son propriétaire légitime (à l’arc, mais à Pénélope aussi à la réflexion) ne peut manier. Comme quoi il y a des thèmes universels.
Pour en revenir à nos tourtereaux des bords du Gange, sûrement que Râma n’aurait pas relevé le défi si Sitâ n’avait pas été dotée de toutes les vertus, du moins de sa beauté, mais voilà, on ne fait pas une épopée avec des héros moches et pervers, aussi un profond et pur amour lie les deux jeunes gens.
En rentrant chez lui, Râma se révèle être un avatar de Vishnu, ayant réussi à bander l’arc de ce dieu lors du défi imposé par un démon croisé en chemin. C’est pourquoi, à mon sens, Râma est représenté comme Vishnu, et Krishna comme ci dessous. Ah, et pour faire le tour, Sitâ n’est autre, en réalité, qu’un avatar de Lakshmi, épouse de Vishnu, ce qui peut expliquer certaines choses. ET Krishna est aussi un avatar de Vishnu, comme ça la boucle est bouclée.
Là vous avez Laksmana, Râma, Sitâ, et agenouillé, c’est Hanuman.
Une épopée ne pouvant pas ne pas contenir de drames, voici l’élément perturbateur qui s’amène avec ses gros sabots pour foutre le bazar dans ce tableau idyllique. L’élément perturbateur se nomme Kaikeyi, et c’est la troisième épouse du papa de Râma. Elle parvient à intriguer de sorte que c’est son fils, et non Râma, qui devienne héritier du trône d’Ayodhya. Râma est contraint à l’exil par cette même femme, et part dans la forêt, toujours accompagné de la fidèle Sitâ et du loyal Laksmana.
Un autre élément perturbateur pointe le bout de son nez. C’est le cas de le dire, vous allez voir pourquoi. Cette fois-ci, il s’agit d’une démone qui tente de séduire Râma. Repoussée, car Râma est un homme fidèle, et défigurée par Laksmana qui lui coupe le nez, elle se venge en venant décrire à son frère Ravana la beauté de Sitâ. Si bien que le démon, roi de son état et qui a la particularité peu commune d’avoir 10 têtes et 20 bras, ce qui ne doit pas être évident pour draguer, s’en vient enlever Sitâ. Malgré tout, et surtout malgré son état de démon, il veut que Sitâ cède à son désir de son propre gré, et non pas par la force, si bien qu’il passe son temps à tenter de la séduire, en vain. Entre nous, s’il s’était mis à vouloir lui mettre des gifles, elle aurait vraiment été dans une position délicate.
Ravana, avec une seule tête.
Notre Râma souffre dans son cœur de héros, car il ne sait pas où Sitâ peut même se trouver ! Lui et son frère rencontrent alors un certain Hanuman, qui leur propose un deal : si Râma aide son roi à retrouver son trône, alors lui et son peuple –ce sont des singes, en passant- l’aideront à retrouver Sitâ. Ce qui fut fait, dans un nombre de vers certainement très conséquent. Hanuman, très dévoué à la cause de Râma, finit par retrouver Sitâ. Seulement voilà, il ne va pas la libérer non plus, ce n’est pas lui son mari, ça serait un outrage ! Il prévient donc Ravana que ça va être sa fête, et retourne chercher Râma. S’ensuit un combat bien entendu épique (donc long), et Sitâ est enfin libérée.
Ici,Rravana a toutes ces têtes. celles qui sont par terre ne sont donc pas à lui. Et là on se rend compte que 20 bras, quand on est un guerrier, ben c'est rudement pratique.
Ici, Râma, le valeureux, le bienveillant, le sage, le juste, le fidèle, se met à douter de Sitâ. Il fallait bien qu’il ait une tare quand même. Et je ne veux pas en entendre ressortir le vieux dicton « souvent femme varie, bien fol qui s’y fie » ! Il est convaincu qu’elle s’est donnée à Ravana, qui a une réputation de séducteur –comme quoi 10 têtes bien faites et 20 bras musculeux sont de bons arguments pour faire la cour en fin de compte.
Voici qui rappelle aussi l’Odyssée ! Juste après sa victoire sur les prétendants, Ulysse tire la tronche à Pénélope parce qu’elle mettait un peu trop de temps à le reconnaître à son goût. Et surtout parce qu’il pensait, lui aussi, que Pénélope avait fait des folies de son corps en son absence. Non mais je vous jure, à quoi ça vous sert d’être vertueuse et de vous tordre la tête pour repousser tous les gros lourds qui vous assaillent de leur concupiscence ? Ben à voir l’être aimé vous faire une démonstration magistrale de défiance. Alors qu’Ulysse ne s’est pas gêné de son côté pour folâtrer avec Calypso, n’est-ce pas ? enfin bon, puisque c’est Hermès qui l’a poussé dans ses bras avec son « on ne refuse pas la couche d’une déesse »…
Bref ! Râma, Sitâ, le retour, on était en plein suspense sur le sort de la pauvre captive, à peine libérée et déjà sous la menace de la suspicion de son époux. Eh ! bien !…Il la répudie. Sitâ bien sûr est effondrée et se précipite dans un bûcher pour le convaincre de son innocence. De fait, le feu ne la brûle pas et elle ressort intacte des flammes qui ne pouvaient consumer une telle pureté.
Epilogue : Râma et Sitâ retournent ainsi en Ayodhya où ils vont régner longuement, puis il abandonne la royauté, prie pour ses compagnons d’armes, s’engouffre avec sa suite dans les eaux et retrouve sa nature divine.
Si vous voulez jeter un œil (vous le récupérerez après, hein) sur le Râmâyana, c’est par là (j’aime wikisource)
Voici pour la petite plongée au cœur des légendes qui font l’âme de l’Inde ! J’ai toujours été fascinée par cette culture, et je suis bien contente de pouvoir trouver des prétextes pour me plonger un peu dans son univers ! Et puis les mythologies, c’est franchement mon truc. D’ailleurs, merci au Larousse des mythologies sur lequel je me suis bien appuyé pour cet article.
D’ailleurs s’il se trouve ici un lecteur courageux, c’est qu’il doit aussi aimer ça. Aussi, à toi, brave lecteur, si tu as des mythes fétiches ou que tu veux en connaître d’autres, n’hésites pas, les commentaires c’est juste après.
Autrement niveau racontage de vie, je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait vraiment tout drôle d’être en master. Mais je ne pouvais pas non plus continuer à passer 36 licences ! Ah, et l’émotion d’arriver dans le rayon égyptologie de la bibliothèque, d’avoir une légitimité à étudier ces livres. Enfin. Comme une espèce de reconnaissance. Oui, vraiment le sentiment d’avoir fait un level up, pour parler geek. Une sorte d’aboutissement, ou de nouveau commencement, plutôt. Bon, même si je ne peux pas me détacher de ces satanés Romains (satané est un qualificatif affectueux chez moi).
Enfin, les expos à voir :
àTeotihuacan, cité des dieux, au musée du Quai Branly. Comme préparation pour apprécier encore mieux l’exposition, il me semble que jeter un œil dans le magazine Dossier d’archéologie, hors série numéro 17, consacré au sujet, est une très bonne chose ! Mais, étant hors de prix, il vaut mieux s’arranger pour l’emprunter, en fait.
Vale, et que les démons à mille têtes ne fassent pas tourner la vôtre, autrement vous pourriez la perdre et ça serait embêtant, sauf si vous voulez jouer à l’ulama.
à De Byzance à Istanbul, au Grand Palais. C’est un devoir pour un cours. J’aime de plus en plus la fac, c’est dingue.