On trouve parfois, souvent même, de véritables perles dans les livres d’histoire. Ce genre d’anecdotes qui vous dépeignent avec une vivacité truculente la vie telle qu’elle était hier.
J’ai ainsi trouvé dans le livre de Naphtali Lewis, La Mémoire des sables, une petite anecdote que j’ai trouvé très amusante…
Imperium Romanum, dans les environs de l’an 100 de notre ère. Pline le Jeune écrit à l’empereur Trajan :
Je ne sais pas si ça fera rire quelqu’un, en fait… personnellement j’ai beaucoup aimé cette histoire de kiné ! Bon, le langage a été quelque peu modifié, mais en substance, c’était ça, et c’est ça qui était marrant. Genre Trajan c’est trop son pote, même si ce dernier tente de lui rappeler vite fait l’immense privilège qu’il lui fait. Enfin, apparemment, Trajan était vraiment trop son pote, vu qu’il le nomma au collège des Augures ! Sacré Pline… je suis la seule que ça fasse rire ?
Ce qui met en lumière certains aspects de la vie quotidienne dans la province romaine qu’était devenue l’Egypte qui était déjà beaucoup moins drôle… effectivement, la hiérarchie très stricte interdisait aux indigènes Egyptiens, en bas de l’échelle sociale, d’espérer accéder à un échelon supérieur… L’échelon supérieur étant déjà, pour commencer, la citoyenneté de l’une des 4 (3 à l’époque de Trajan) cités grecques d’Egypte, seule la citoyenneté d’Alexandrie (pas considérée comme faisant partie de l’Egypte, en fait) permettant éventuellement d’obtenir la sacro-sainte citoyenneté romaine. Que l’on n’obtenait que par décision impériale ! C’est le cas pour le chanceux kinésithérapeute de Pline le Jeune (vous savez, celui qui était en Bithynie ! la première fois que le prof nous a sorti ce mot en amphi on a tous compris bikini… )… Ca faisait bien, à l’époque, d’avoir des serviteurs Egyptiens, ça faisait exotique…
Quant au bikini, il existait bel et bien à l’époque romaine, je ne me paie pas votre tête, comme vous pourrez le constater en allant ici.
Elle se trouve à la Villa Romana del Casale, en Sicile, et date apparemment du IVe siècle (je ne saurais l’affirmer pour ma part)
Restons dans l’Imperium Romanum, et admirons ce chef-d’œuvre de la statuaire romaine du IIe siècle avec ce portrait de l’empereur Commode. J’imagine que ça évoque pour beaucoup un psychopathe avec la tête de Joaquin Phoenix. Ben, regardez, ils n’ont pas trop la même tête, faut dire.
j’ai un petit faible pour cet empereur, non à cause de Joaquin Phoenix, ou du nom qu’on a presque en commun, mais plutôt parce qu’il était un tantinet fêlé, effectivement, ce qui lui valut une petite damnatio memoriae.
Bref, tout ça pour dire qu’il ne jouit pas d’une réputation aussi brillante que celle de son paternel, Marc-Aurèle, à tel point que certains ne se sont pas gênés dans les qualificatifs dépréciatifs à son sujet. A propos de cette statue, et de son modèle, Mortimer Wheeler écrit donc :
« avec finesse, mais sans indulgence, il (le buste) nous fait deviner l’empereur, mou et efféminé, avec ses bras fluets, sa figure flasque et sans caractère auréolée de cheveux et d’une barbe trop bien soignés (…), tenant dans sa faible main de petites « pommes des Hespérides ».
cette statue a certainement charmé le pervers sadique qu’elle immortalise si fidèlement. »
On sent qu’il l’aime. J’apprécie particulièrement le « pervers sadique », comme vous aurez deviné, qui m’a beaucoup fait rire. Je ne le trouve ni mou, ni efféminé, ni flasque, pour ma part. Flasque me fait plus penser à une horreur d’outre-espace…
Ah, et les pommes, la massue et la peau de lion, si vous ne savez pas, c’est parce qu’il s’identifiait à Hercule. Un peu mégalo, certes. Il paraît qu’il avait un jumeau…
A propos de la damnatio memoriae, sujet qui m’intéresse beaucoup, je me faisais la réflexion, durant l’une de mes nombreuses heures de transport/attentes de, que ce phénomène, qui a certainement touché toutes les civilisations, en compte quelques très beaux exemples en Egypte pharaonique.
Qui sont ceux dont la mémoire a été damnée, sur les berges du Nil ?
J’ai pensé spontanément à la reine pharaon Hatchepsout, que son neveu Thoutmosis III a scrupuleusement tenté de rayer de la carte. La damnatio mémoriae, c’est déjà grave en soi, surtout dans un pays ou le nom a une valeur magique très importante, et où l’effacement de ce nom a pour conséquence une deuxième mort. Oui, parce qu’alors le pharaon usurpait les statues, par exemple, du prédécesseur indésirable, en remplaçant son nom dans les cartouches par le sien propre. il a sûrement fait ça parce qu’il avait trouvé qu’elle avait elle-même usurpé son pouvoir à lui…
En passant, cette pharaonne, et Nitocris, pourtant elle connue par Hérodote, ont été superbement ignorées par Bram Stoker dans son roman Le joyau aux sept étoiles où Tera, une reine égyptienne fictive (comme le montre son nom, d’ailleurs), était présentée comme le seul exemple de femme de pouvoir en ancienne Egypte, ce qui servait bien le contexte misogyne du XIXe siècle…
Il y a aussi bien entendu le pharaon hérétique Akhenaton, le meilleur exemple en matière de damanatio memoriae !
Combien de ses cartouches ont bien pu être martelés ? Avec lui, on ne prenait même pas la peine de réécrire un nom par dessus… Pharaon maudit plus que tout autre, le fait qu’il il bâti une nouvelle capitale arrangea bien pour le faire sombrer dans l’oubli… située dans un quasi-désert, Akhetaton y retourna au plus vite… rien des extravagances de l’hérésiarque ne devait rester, et surtout pas son art cauchemardesque, qui laissa tout de même une influence. Amon triomphant reprit sa place de roi des dieux, et son clergé rétablit aussi sec son influence. C’est un peu ce qu’illustre la magnifique statue d’Amon protégeant Toutankhamon d’ailleurs : Amon dans sa plénitude, dans toute sa gloire et sa grandeur, protégeant le frêle pharaon, ou plutôt le dominant, l’écrasant presque, l’enfermant entre ses bras comme pour assurer son influence sur lui, et le tenir dans le droit chemin, loin des errements mystiques de son prédécesseur… La place qu’elle occupe dans le Louvre, juste en face de la salle amarnienne, me semble encore renforcer cette impression : comme si Amon et tout son clergé narguaient les rêves fous d’Akhenaton et imposaient le retour de leur écrasante suprématie avec encore plus d’évidence.
D’ailleurs la damnatio memoriae s’est aussi attaquée au mystérieux Smenkharé, si bien d’ailleurs qu’on ne sait pas grand-chose de lui sinon qu’il du régner après Akhenaton ou co-régner avec lui. Il faudrait que je me renseigne.
Toutankhamon lui-même a subi la damnatio memoriae, malgré le retour à l’ordre ammonien et les facilités que son jeune âge a du ménager à ceux qui voulaient régner. Il semblerait que ce soit Horemheb le responsable d’usurpations de cartouches du pharaon, (voire iciiii) ou bien même de mutilations de ses représentations. Ladite statue d’Amon protégeant Toutankhamon en est d’ailleurs la preuve : le pharaon a été volontairement décapité et mutilé. Ce fut bien mené, puisqu’on ignorait totalement l’existence de ce roi avant la formidable découverte de sa sépulture en 1922… ah et je suis retourné voir en détail (comme le montre la photo pourrie) et effectivement les cartouches se sont bien fait effacer le tronche. On arrive juste à entrevoir faiblement le « Amon » de son prénom. Amon qui est lui aussi nommé, et dont ni le nom ni les titres (roi des dieux notamment) n’ont été touchés, ce qui tendrait à montrer que ce n’est pas l’œuvre d’atoniens déments, même si les mains du dieu sont assez mutilées et que la tête a été détachée, son très bon état me laisse plutôt penser que ça serait plutôt du à ce qui peut arriver à une statue au cours d’une vie de quelques millénaires (pour la tête seulement, les mains ont du être mutilées en même temps que le pharaon pour être sûr que le dieu ne pouvait plus je protéger, je pense). Ca peut être mouvementé ! bref.
Oh, certes, il y en eut bien d’autres cas de damnatio mémoriae, je ne passe ici en revue que ceux qui s’imposent avec le plus d’évidence. D’ailleurs ce phénomène touchait aussi ceux qui n’étaient pas des souverains, comme le montre le premier préfet d’Egypte, Caïus Cornélius Gallus, qui a été un ami de Virgile lui-même mais a trop voulu être pharaon à la place de l’empereur… heu, du prince, pardon.
Et non, je ne m’intéresse pas qu’aux pharaons aujourd’hui les plus connus ! Figurez-vous que je suis également très intéressée par l’histoire des princes de Thèbes qui chassèrent l’envahisseur Hyksos !
Ah, et bientôt j’aurais mes premiers vrais cours d’égypto… qui a dit « il était temps ? »
Pour terminer un grand merci à ma Buf qui m’a offert ma première pièce romaine (ouais je compte poursuivre la collection) qu’elle est trop belle et que même que c’est Constantin Notre César dessus. Et merci de m’avoir commandé Sinouhé l’Egyptien, version kitsch, version souvenirs… faudra quand même que je me calme sur les bouquins…
Une dernière chose… le titre vient d’un intaille magique de la période romano-égyptienne. Je vous laisse deviner à quoi cette invocation pouvait servir. Je donnerait la réponse au prochain article même si tout le monde s’en fout. C’est bien gore, j’adore. Bien plus amusant que toutes les histoires de pseudos-vampires dont on nous gave en ce moment… Navrant, de quoi être dégoûté…
Ah non, encore une dernière chose : mon esprit tordu est capable de sortir des trucs vraiment bizarres parfois. Heu, souvent. Dernière hérésie en date : « ah, mais Virgile, c’est un pilier Djed, en fait ! » Mettez l’habillage « Divine Comédie » et comparez avec ça, et vous me direz ce que vous en pensez.
Bref, vale, et que la soif de sang des souverains des Enfers reflétée dans les yeux extatiques d’un dominicain fou ne vous enlève pas votre pilier djed au milieu du Styx.
DiyάV Tάntal̉ aἶema pίe
C'est ça ? XD
Ton blog en favori, je suis fac d'historien et j'aime ton article.