Lundi 21 avril 2008 à 13:21

avant de me plonger dans mes révisions avec délectation (il faut y croire) je ne peux m'empêcher de laisser un poème de William Blake, que les habitués commencent à connaître ^^. Hier grâce à ma Buf j'ai fait l'acquisition d'une anthologie de son oeuvre, je vous fait donc partager mon exaltation.

ce poème a été rédigé en 1793 ()

I heard an angel

 

I  heard an angel singing,

When the day was springing,

“Mercy, Pity, Peace,

Is the world's release.”

 

Thus he sang all day

Over the new-mown hay,

Till the sun went down

And haycocks looked brown.

 

I heard a devil curse

Over the heath and the furze,

‘Mercy could be no more

if there was nobody poor,

 

‘and pity no more could be

if all were as happy as we.'

At this curse the sun went down,

And the heavens gave a frown

 

Down pour'd the heavy rain

Over the new reap'd grain ...

And Miseries' increase

Is Mercy, Pity, Peace.

pour illustrer cela, voici un de ses toiles, intitulée Christ in the sepulchre guarded by angels, datant de 1805

et je ne peux m'empêcher d'ajouter ce poème, qui explique aussi pourquoi j'aime The Vision Bleak (si si il y a un rapport)

The Tiger.

Tiger, Tiger, burning bright,
In the forest of the night;
What immortal hand or eye,
Could frame thy fearful symmetry?

In what distant deeps or skies.
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand, dare sieze the fire?

And what shoulder, & what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat,
What dread hand? & what dread feet?

What the hammer? what the chain,
In what furnace was thy brain?
What the anvil? what dread grasp,
Dare its deadly terrors clasp!

When the stars threw down their spears
And water'd heaven with their tears:
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?

Tiger Tiger burning bright,
In the forest of the night:
What immortal hand or eye,
Dare frame thy fearful symmetry?

pour finir... un dernier mot de notre ami:

'Madman I have been called; fool they call thee

I wonder which they envy, thee or me?'

bonnes vacances à tous ceux qui peuvent en profiter. courag pour les autres. je pense que je reviendrai m'exalter un peu ici durant les révisions, mais pour les vraies vacances, (dans un mois T_T) j'ai prévu une petite interprétation de l'oeuvre de James Matthew Barrie, j'ai nommé Peter Pan! (merci à ma Buf de me l'avoir trouvé en vo)

un dernier mot? J'aime monsieur Lheureduthé! XD

Jeudi 17 avril 2008 à 17:51

Me voici revenue brièvement. Je vais prendre le temps de faire cet article que j'aurais voulu poster bien plus tôt.

Tout d'abord, je voulais vous présenter un texte que je trouve magnifique, et qui montre bien, je trouve, la vanité de nos actions, de nos colères, de nos espoirs, de nos existences même. Ce n'est pas un constat amer, c'est quelque chose qui permet de relativiser un peu…

Si vous trouvez l'auteur vous aurez le droit de m'embrasser la main. Ne me remerciez pas, la nature m'a faite généreuse XD

Memory

In the valley of Nis the accursed waning moon shines thinly, tearing a path for its light with feeble horns through the lethal foliage of a great uperas-tree. And within the depths of the valley, where the light reaches not, move forms not meant to be beheld. Rank is the herbage on each slope, where evil vines and creeping plants crawl amidst the stones of ruined palaces, twining tightly about broken columns and strange monoliths, and heaving up marble pavements laid by forgotten hands. And in trees that grow gigantic in crumbling courtyards leap little apes, while in and out of deep treasure-vaults writhe poison serpents and scaly things without a name. Vast are the stones which sleep beneath coverlets of dank moss, and mighty were the walls from which they fell. For all time did their builders erect them, and in sooth they yet serve nobly, for beneath them the grey toad makes his habitation.

At the very bottom of the valley lies the river Than, whose waters are slimy and filled with weeds. From hidden springs it rises, and to subterranean grottoes it flows, so that the Demon of the Valley knows not why its waters are red, nor whither they are bound.

The Genie that haunts the moonbeams spoke to the Demon of the Valley, saying, "I am old, and forget much. Tell me the deeds and aspect and name of them who built these things of Stone." And the Demon replied, "I am Memory, and am wise in lore of the past, but I too am old. These beings were like the waters of the river Than, not to be understood. Their deeds I recall not, for they were but of the moment. Their aspect I recall dimly, it was like to that of the little apes in the trees. Their name I recall clearly, for it rhymed with that of the river. These beings of yesterday were called Man."

So the Genie flew back to the thin horned moon, and the Demon looked intently at a little ape in a tree that grew in a crumbling courtyard

 

 

Avec pour illustrer cela une toile de Cole, qui, si je ne m'abuse, était un peintre XVIIIe d'outre atlantique. Cette toile est nommée Desolation et elle illustre également très bien l'état actuel de mon âme.

 

Disons qu'en ce moment je me sens un peu perdue, je ne vois autours de moi que la mort et la maladie. Mort autant physique que symbolique. J'achève tant bien que mal un parcours, je ne sais ce qui se trouve au delà. Malade, c'est ainsi que je me sens. J'ai besoin de repos, de me poser, de souffler, de vivre, enfin.

J'aimerais laisser quelques mots à ma tante, mots qu'elle ne pourra jamais lire, mots que je ne peux plus lui direTrop tard. Un jour j'apprendrais qu'il faut s'y prendre à temps pour dire mes sentiments. Enfin, je te remercie d'avoir été là, même si tu es partie trop tôt. Tu as illuminé les gens qui t'ont côtoyé. Tu as su m'inspirer la passion qui m'anime aujourd'hui, et m'y encourager. Ce que tu m'as apporté, je le garderai toujours en moi, et tu vivras encore à travers cela. Ce petit scarabée que tu m'avais rapporté de Louxor aujourd'hui a un sens particulier pour moi, il représente ta renaissance au delà du monde. Il m'encourage à continuer, même si je suis triste de poursuivre la route sans toi, physiquement, car tu es toujours là. Je sens que tu m'épaules dans ce que je veux faire, et je veux y arriver, pour toi.

Merci. Et au jour où nous nous retrouverons peut-être.

 

 

 

Merci à tous ceux qui sont là autours de moi en ce moment. Je me rend compte que je ne suis pas seule, et c'est étrange, moi qui passe mon temps enfermé à m'aliéner la tête. Merci à tous mes amis pour leur soutien. Merci à Sarah d'être là et de m'épauler, quand elle même traverse une difficile période. merci pour le concert, revoir Roy a été un vrai bonheur. Voir toute cette belle compagnie a été un bonheur. Me casser la voix aussi. Ça faisait tellement longtemps que je ne n'avais plus senti ça ! merci à ma Buf d'être là aussi, de compatir et de m'encourager ! on se défoule bien toute les deux ^^. Merci aux bordelais d'être passé, ça faisait longtemps ! c'était un plaisir, surtout que le marché m'a bien changé les idées. Maintenant j'ai de quoi arroser ma licence,

 il ne reste plus qu'à la décrocher ! (genre c'est dans la poche) et je confirme que les tenues XVIIIe sont définitivement magnifiques. Et monsieur Perruque portait bien une perruque (3 personnes au monde pourront comprendre ça) on ne me trompe pas sur la marchandise.

Merci à tous les autres, Adé, Fred Fabou et tous ceux qui sont là et que je ne cite pas forcément. Après les partiels je pourrais enfin vous casser les pieds convenablement ^^

J'ai hâte, si hâte, que tout cela se termine. En même temps j'ai peur. De toutes les portes qu'il y a devant moi, il n'y en a qu'une que j'ai envie d'ouvrir en ce moment et de refermer définitivement sur moi. Comme tout un chacun. La porte menant à mes rêves, à mon petit univers personnel où je peux tout.

Ici, on ne peut qu'attendre, espérer, et sacrifier. Je suis lasse de sacrifier.

Aller, on continue…

 

free music
Cette toile de Bocklin me fait penser à elle. Il s'agit normalement d'une vestale, mais ce blanc, ces fleurs et ce feu, et ce linge sur la bouche, me remémore un certain concept romain.

Mardi 18 mars 2008 à 12:55

  

free music

 

parce que je n'ai pas pu m'en empêcher... voilà longtemps que je repensais à cette nouvelle que j'avais lu il y a... trrrrrrès longtemps, et qui parlait de... vous verrez vous même. bon il y a de la nécrophilie ^^. De la nécrophilie comme j'aime. En fait cette nouvelle correspond totalement à mon état d'esprit. Inversez juste le sexe des protagonistes et vous aurez une vision assez fidèle de ce qui peut se passer sans mon esprit morbide (morbide voulant dire malade). Nécrophilie, fétichisme, fantasmes malsains,vampirisme même, tout y est! Elle est tellement belle cette nouvelle...

Pour info il s'agit de La Chevelure, écrite par Maupassant en 1883 (quand je dis que j'aime le XIXe...). je ferai volontier commentaires, exégèse et élucubrations tordues, mais seulemet si ça intéresse quelqu'un, car je n'ai pas vraiment le temps.

sur ce bonne lecture.

Piur changer, un Millais!

 

LA  CHEVELURE

Les murs de la cellule étaient nus, peints à la chaux. Une fenêtre étroite et grillée, percée très haut de façon qu'on ne pût pas y atteindre, éclairait cette petite pièce claire et sinistre; et le fou, assis sur une chaise de paille, nous regardait d'un oeil fixe, vague et hanté. Il était fort maigre avec des joues creuses et des cheveux presque blancs qu'on devinait blanchis en quelques mois. Ses vêtements semblaient trop larges pour ses membres secs, pour sa poitrine rétrécie, pour son ventre creux. On sentait cet homme ravagé, rongé par sa pensée, par une Pensée, comme un fruit par un ver. Sa Folie, son idée était là, dans cette tête, obstinée, harcelante, dévorante. Elle mangeait le corps peu à peu. Elle, l'Invisible, l'Impalpable, l'Insaisissable, l'Immatérielle Idée minait la chair, buvait le sang, éteignait la vie. Quel mystère que cet homme tué par un Songe ! Il faisait peine, peur et pitié, ce Possédé ! Quel rêve étrange, épouvantable et mortel habitait dans ce front, qu'il plissait de rides profondes, sans cesse remuantes ?


    Le médecin me dit: "Il a de terribles accès de fureur, c'est un des déments les plus singuliers que j'ai vus. Il est atteint de folie érotique et macabre. C'est une sorte de nécrophile. Il a d'ailleurs écrit son journal qui nous montre le plus clairement du monde la maladie de son esprit. Sa folie y est pour ainsi dire palpable. Si cela vous intéresse vous pouvez parcourir ce document." Je suivis le docteur dans son cabinet, et il me remit le journal de ce misérable homme. "Lisez, dit-il, et vous me direz votre avis."


    Voici ce que contenait ce cahier:



    Jusqu'à l'âge de trente-deux ans, je vécus tranquille, sans amour. La vie m'apparaissait très simple, très bonne et très facile. J'étais riche. J'avais du goût pour tant de choses que je ne pouvais éprouver de passion pour rien. C'est bon de vivre ! Je me réveillais heureux, chaque jour, pour faire des choses qui me plaisaient, et je me couchais satisfait, avec l'espérance paisible du lendemain et de l'avenir sans souci.


    J'avais eu quelques maîtresses sans avoir jamais senti mon coeur affolé par le désir ou mon âme meurtrie d'amour après la possession. C'est bon de vivre ainsi. C'est meilleur d'aimer, mais terrible. Encore, ceux qui aiment comme tout le monde doivent-ils éprouver un ardent bonheur, moindre que le mien peut-être, car l'amour est venu me trouver d'une incroyable manière.
    Etant riche, je recherchais les meubles anciens et les vieux objets; et souvent je pensais aux mains inconnues qui avaient palpé ces choses, aux yeux qui les avaient admirées, aux coeurs qui les avaient aimées, car on aime les choses ! Je restais souvent pendant des heures, des heures et des heures, à regarder une petite montre du siècle dernier. Elle était si mignonne, si jolie, avec son émail et son or ciselé. Et elle marchait encore comme au jour où une femme l'avait achetée dans le ravissement de posséder ce fin bijou. Elle n'avait point cessé de palpiter, de vivre sa vie de mécanique, et elle continuait toujours son tic-tac régulier, depuis un siècle passé. Qui donc l'avait portée la première sur son sein dans la tiédeur des étoffes, le coeur de la montre battant contre le coeur de la femme ? Quelle main l'avait tenue au bout de ses doigts un peu chauds, l'avait tournée, retournée, puis avait essuyé les bergers de porcelaine ternis une seconde par la moiteur de la peau ? Quels yeux avaient épié sur ce cadran fleuri l'heure attendue, l'heure chérie, l'heure divine ?


    Comme j'aurais voulu la connaître, la voir, la femme qui avait choisi cet objet exquis et rare ! Elle est morte ! Je suis possédé par le désir des femmes d'autrefois; j'aime, de loin, toutes celles qui ont aimé ! L'histoire des tendresses passées m'emplit le coeur de regrets. Oh ! la beauté, les sourires, les caresses jeunes, les espérances ! Tout cela ne devrait-il pas être éternel !


    Comme j'ai pleuré, pendant des nuits entières, sur les pauvres femmes de jadis, si belles, si tendres, si douces, dont les bras se sont ouverts pour le baiser et qui sont mortes ! Le baiser est immortel, lui ! Il va de lèvre en lèvre, de siècle en siècle, d'âge en âge. - Les hommes le recueillent, le donnent et meurent.


    Le passé m'attire, le présent m'effraie parce que l'avenir c'est la mort. Je regrette tout ce qui s'est fait, je pleure tous ceux qui ont vécu; je voudrais arrêter le temps, arrêter l'heure. Mais elle va, elle va, elle passe, elle me prend de seconde en seconde un peu de moi pour le néant de demain. Et je ne revivrai jamais.


    Adieu celles d'hier. Je vous aime.


    Mais je ne suis pas à plaindre. Je l'ai trouvée, moi, celle que j'attendais; et j'ai goûté par elle d'incroyables plaisirs.


    Je rôdais dans Paris par un matin de soleil, l'âme en fête, le pied joyeux, regardant les boutiques avec cet intérêt vague du flâneur. Tout à coup, j'aperçus chez un marchand d'antiquités un meuble italien du XVII° siècle. Il était fort beau, fort rare. Je l'attribuai à un artiste vénitien du nom de Vitelli, qui fut célèbre à cette époque.
    Puis je passai.


    Pourquoi le souvenir de ce meuble me poursuivit-il avec tant de force que je revins sur mes pas ? Je m'arrêtai de nouveau devant le magasin pour le revoir, et je sentis qu'il me tentait.
    Quelle singulière chose que la tentation ! On regarde un objet et, peu à peu, il vous séduit, vous trouble, vous envahit comme ferait un visage de femme. Son charme entre en vous, charme étrange qui vient de sa forme, de sa couleur, de sa physionomie de chose ; et on l'aime déjà, on le désire, on le veut. Un besoin de possession vous gagne, besoin doux d'abord, comme timide, mais qui s'accroît, devient violent, irrésistible. Et les marchands semblent deviner à la flamme du regard l'envie secrète et grandissante.
    J'achetai ce meuble et je le fis porter chez moi tout de suite. Je le plaçai dans ma chambre.
    Oh ! je plains ceux qui ne connaissent pas cette lune de miel du collectionneur avec le bibelot qu'il vient d'acheter. On le caresse de l'oeil et de la main comme s'il était de chair; on revient à tout moment près de lui, on y pense toujours, où qu'on aille, quoi qu'on fasse. Son souvenir aimé vous suit dans la rue, dans le monde, partout; et quand on rentre chez soi, avant même d'avoir ôté ses gants et son chapeau, on va le contempler avec une tendresse d'amant.
    Vraiment, pendant huit jours, j'adorai ce meuble. J'ouvrai à chaque instant ses portes, ses tiroirs; je le maniais avec ravissement, goûtant toutes les joies intimes de la possession.
    Or, un soir, je m'aperçus, en tâtant l'épaisseur d'un panneau, qu'il devait y avoir là une cachette. Mon coeur se mit à battre, et je passai la nuit à chercher le secret sans le pouvoir découvrir.
    J'y parvins le lendemain en enfonçant une lame dans une fente de la boiserie. Une planche glissa et j'aperçus, étalée sur un fond de velours noir, une merveilleuse chevelure de femme !
    Oui, une chevelure, une énorme natte de cheveux blonds, presque roux, qui avaient dû être coupés contre la peau, et liés par une corde d'or.


    Je demeurai stupéfait, tremblant, troublé ! Un parfum presque insensible, si vieux qu'il semblait l'âme d'une odeur, s'envolait de ce tiroir mystérieux et de cette surprenante relique.
    Je la pris, doucement, presque religieusement, et je la tirai de sa cachette. Aussitôt elle se déroula, répandant son flot doré qui tomba jusqu'à terre, épais et léger, souple et brillant comme la queue en feu d'une comète.


    Une émotion étrange me saisit. Qu'était-ce que cela ? Quand ? comment ? pourquoi ces cheveux avaient-ils été enfermés dans ce meuble ? Quelle aventure, quel drame cachait ce souvenir ? Qui les avait coupés ? un amant, un jour d'adieu ? un mari, un jour de vengeance ? ou bien celle qui les avait portés sur son front, un jour de désespoir ?
    Etait-ce à l'heure d'entrer au cloître qu'on avait jeté là cette fortune d'amour, comme un gage laissé au monde des vivants ? Etait-ce à l'heure de la clouer dans la tombe, la jeune et belle morte, que celui qui l'adorait avait gardé la parure de sa tête, la seule chose qu'il pût conserver d'elle, la seule partie vivante de sa chair qui ne dût point pourrir, la seule qu'il pouvait aimer encore et caresser, et baiser dans ses rages de douleur ?
    N'était-ce point étrange que cette chevelure fût demeurée ainsi, alors qu'il ne restait plus une parcelle du corps dont elle était née ?


    Elle me coulait sur les doigts, me chatouillait la peau d'une caresse singulière, d'une caresse de morte. Je me sentais attendri comme si j'allais pleurer.


    Je la gardai longtemps, longtemps en mes mains, puis il me sembla qu'elle m'agitait, comme si quelque chose de l'âme fût resté caché dedans. Et je la remis sur le velours terni par le temps, et je repoussai le tiroir, et je refermai le meuble, et je m'en allai par les rues pour rêver.
    J'allais devant moi, plein de tristesse, et aussi plein de trouble, de ce trouble qui vous reste au coeur après un baiser d'amour. Il me semblait que j'avais vécu autrefois déjà, que j'avais dû connaître cette femme.


    Et les vers de Villon me montèrent aux lèvres, ainsi qu'y monte un sanglot:

 

Dictes-moy où, ne en quel pays
Est Flora, la belle Romaine,
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine ?
Echo parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière, ou sus estan ;
Qui beauté eut plus que humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?
..................................
La royne blanche comme un lys
Qui chantait à voix de sereine,
Berthe au grand pied, Bietris, Allys,
Harembouges qui tint le Mayne,
Et Jehanne la bonne Lorraine
Que Anglais bruslèrent à Rouen ?
Où sont-ils, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?

 

    Quand je rentrai chez moi, j'éprouvai un irrésistible désir de revoir mon étrange trouvaille; et je la repris, et je sentis, en la touchant, un long frisson qui me courut dans les membres.
    Durant quelques jours, il fallait que je la visse et que je la maniasse. Je tournais la clef de l'armoire avec ce frémissement qu'on a en ouvrant la porte de la bien-aimée, car j'avais aux mains et au coeur un besoin confus, singulier, continu, sensuel de tremper mes doigts dans ce ruisseau charmant de cheveux morts.


    Puis, quand j'avais fini de la caresser, quand j'avais refermé le meuble, je la sentais là toujours, comme si elle eût été un être vivant, caché, prisonnier; je la sentais et je la désirais encore ; j'avais de nouveau le besoin impérieux de la reprendre, de la palper, de m'énerver jusqu'au malaise par ce contact froid, glissant, irritant, affolant, délicieux.
    Je vécus ainsi un mois ou deux, je ne sais plus. Elle m'obsédait, me hantait. J'étais heureux et torturé, comme dans une attente d'amour, comme après les aveux qui précèdent l'étreinte.
    Je m'enfermais seul avec elle pour la sentir sur ma peau, pour enfoncer mes lèvres dedans, pour la baiser, la mordre. Je l'enroulais autour de mon visage, je la buvais, je noyais mes yeux dans son onde dorée afin de voir le jour blond, à travers.
    Je l'aimais ! Oui, je l'aimais. Je ne pouvais plus me passer d'elle, ni rester une heure sans la revoir.
    Et j'attendais...j'attendais...quoi ? Je ne le savais pas ?


    - Elle.


    Une nuit je me réveillai brusquement avec la pensée que je ne me trouvais pas seul dans ma chambre.
    J'étais seul pourtant. Mais je ne pus me rendormir ; et comme je m'agitais dans une fièvre d'insomnie, je me levai pour aller toucher la chevelure. Elle me parut plus douce que de coutume, plus animée. Les morts reviennent-ils ? Les baisers dont je la réchauffais me faisaient défaillir de bonheur ; et je l'emportai dans mon lit, et je me couchai, en la pressant sur mes lèvres, comme une maîtresse qu'on va posséder.
    Les morts reviennent ! Elle est venue. Oui, je l'ai vue, je l'ai tenue, je l'ai eue, telle qu'elle était vivante autrefois, grande, blonde, grasse, les seins froids, la hanche en forme de lyre; et j'ai parcouru de mes caresses cette ligne ondulante et divine qui va de la gorge aux pieds en suivant toutes les courbes de la chair.


    Oui, je l'ai eue, tous les jours, toutes les nuits. Elle est revenue, la Morte, la belle morte, l'Adorable, la Mystérieuse, l'Inconnue, toutes les nuits.


    Mon bonheur fut si grand, que je ne l'ai pu cacher. J'éprouvais près d'elle un ravissement surhumain, la joie profonde, inexplicable, de posséder l'Insaisissable, l'Invisible, la Morte ! Nul amant ne goûta des jouissances plus ardentes, plus terribles !


    Je n'ai point su cacher mon bonheur. Je l'aimais si fort que je n'ai plus voulu la quitter. Je l'ai emportée avec moi toujours, partout. Je l'ai promenée par la ville comme ma femme, et conduite au théâtre en des loges grillées, comme ma maîtresse...


    Mais on l'a vue ... on a deviné ... on me l'a prise ... Et on m'a jeté dans une prison, comme un malfaiteur. On l'a prise ... oh ! misère !...



    Le manuscrit s'arrêtait là. Et soudain, comme je relevais sur le médecin des yeux effarés, un cri épouvantable, un hurlement de fureur impuissante et de désir exaspéré s'éleva dans l'asile.
    "Ecoutez-le, dit le docteur. Il faut doucher cinq fois par jour ce fou obscène. Il n'y a pas que le sergent Bertrand qui ait aimé les mortes."


    Je balbutiai, ému d'étonnement, d'horreur et de pitié:


    "Mais... cette chevelure... existe-t-elle réellement ?"


    Le médecin se leva, ouvrit une armoire pleine de fioles et d'instruments et il me jeta, à travers son cabinet, une longue fusée de cheveux blonds qui vola vers moi comme un oiseau d'or.
    Je frémis en sentant sur mes mains son toucher caressant et léger. Et je restai le coeur battant de dégoût et d'envie, de dégoût comme au contact des objets traînés dans les crimes, d'envie comme devant la tentation d'une chose infâme et mystérieuse.
    Le médecin reprit en haussant les épaules

:
    "L'esprit de l'homme est capable de tout."

 

13 mai 1884

Gustave Moreau, Galatée

et grand merci à ma Buf qui m'a fait découvrir deezer, bien pratique après la miseà l'index de Radioblog.

 

 

 

Samedi 9 février 2008 à 15:58

Jeudi 17 janvier 2008 à 17:37

car il faut bien des titres prometteurs pour s'attirer du public. Voici bien longtemps que je projetais de mettre en ligne un travail sur la sorcellerie en France au XVIeme siècle, sujet d'un exposé pour la fac. (je m'arrange toujours pour avoir les meilleurs sujets). c'est un peu long mais j'espère que cela plaira à certains.

˜ La sorcellerie en France au XVI° siècle  ˜

 

            L'époque moderne se situe dans la continuité du Moyen-Age en ce qui concerne la répression de la sorcellerie. En effet, les moyens mis en œuvre pour les chasser, les chefs d'accusations, et même l'image de la sorcière n'ont que peu changé à l'époque moderne. Pourtant, c'est au XVI° siècle que la chasse leur est donné, et que de nombreux manuels se développent pour les éradiquer, de façon de plus en plus massive et organisée. Une vague de sorcellerie sans précédents s'abat sur l'Europe et la France n'y a pas échappé. Pourquoi seulement au XVI° siècle alors que la sorcellerie était déjà bien présente, aux côtés de sa sœur l'hérésie, notamment dans les procès des Templiers (1308-1314) de Jeanne d'Arc en 1431 et de son compagnon d'armes Gilles de Rais en 1440… ? (l'accusation ne signifiant pas forcément une sorcellerie ou une hérésie effective attention)

Qu'est ce que l'amplitude du phénomène de sorcellerie en France au XVI° siècle, ses victimes et ses moyens de répressions peuvent traduire de la société de cette époque ?

Mais qu'est-ce exactement que la sorcellerie ? La définition commune en serait un ensemble de rites destinées à faire guérir, mourir, à nuire… Un fait de société en somme… Cela tendrait à montrer une vision du monde en deux strates, l'une terrestre, l'autre surnaturelle influençant la première, et pouvant être manipulée pour faire le bien ou le mal. Mais dans le christianisme, seuls l'Eglise et les représentants de Dieu peuvent manipuler sans dangers cette strate, encore que cela ne soit pas toujours le cas. Les laïcs ne peuvent faire appel qu'au diable et là intervient la sorcellerie : l'alliance avec les démons et les puissances infernales, avec une prépondérance des femmes dont nous verrons la raison.

Nous allons à présent voir ce qui pourrait expliquer l'apparition d'un tel phénomène en France au XVI° siècle, qui en étaient les victimes et enfin quels étaient les moyens de répressions mis en œuvre contre elles.

 

 

 

I.   Le mal à sa racine : les origines complexes du phénomène.

 

a)      le bouleversement du schisme de la chrétienté.

 

Au XVI° siècle, l'Eglise romaine subit un profond bouleversement, un schisme qui divisa la Chrétienté entre catholiques et protestants, venus des contestations de Luther qui souhaitait revenir à une religion plus pure, débarrassée de sa vénalité et de ses péchés. En effet, l'Eglise catholique vendait notamment des indulgences, permettant de racheter les péchés contre de l'argent bien terrestre, sans compter que certains prêtres n'étaient pas assez bien éduqués et ne pouvaient remplir pleinement et de façon satisfaisante leur rôle -lorsqu'ils résidaient en leur paroisse et n'entretenaient pas de concubines-. La réforme protestante est une réaction due à un désir de purification de la religion, et elle se diffusa en France dès 1520, bien que Calvin en 1531 ait eut plus de succès. En réponse, l'Eglise catholique réalisa elle aussi, mais un peu tard, sa propre réforme, lors du concile de Trente (1545-1563) qui eut pour conséquences une reprise en main de la religion catholique et un durcissement considérable de ton. Les prêtres, mieux formés, eurent pour but une chasse au paganisme à la superstition et à l'hérésie qui sévissait encore jusque là dans de nombreuses régions et constituait une menace pour la chrétienté. Plus aucun écart ne fut toléré et toute déviance considérée comme hérésie et/ou sorcellerie fut fermement réprimé.

Les sphères géographiques les plus touchées, en tout cas où il y eut le plus de répression, se trouvaient aux frontières. Le Saint Empire Romain Germanique fut le plus durement frappé avec ses frontières, notamment l'axe rhénan, considéré comme le chemin privilégié du démon, où le paganisme était le plus fort. A noter que le Saint Empire Romain Germanique fut là où le protestantisme eut le plus de succès…

En France, mis à part aux frontières, les plus fortes répressions eurent cours en Méditerranée, en mer du Nord, aux Flandres, Savoie, Franche-Comté, Lorraine, Champagne

"je suis le pape"

les protestants font du pape le Diable en personne. gravure du XVIeme

 

 

b)           la sorcellerie : le mal que l'on doit exorciser

 

On peut donc constater que, tant du côté catholique que du côté protestant, on voulut revenir à une purification de l'Eglise. En ce « siècle satanique » que le XVI° siècle, nous avons pu voir que la sorcellerie s'est présentée comme le mal à abattre, la responsable de tous les maux dont la suppression, pense t'on, ramènera l'ordre et la pureté dans la religion. Du côté catholique, on jugeait que si l'Eglise pouvait être remise en cause, alors Satan était en passe de régner sur le monde. Or les sorcières sont les prêtresses de Satan…

On pourrait penser que les protestants, issus de la volonté de se défaire d'une église commettant trop d'abus, ne se seraient pas mêlés de ces affaires de sorcellerie. Mais les mœurs strictes, notamment en ce qui concerne le calvinisme, prônés par les réformés, a lui aussi voulu exorciser ce mal, cette tare de la société, s'appuyant sur ce passage des Ecritures : « Tu ne laisseras pas vivre le magicien ».

On peut même se demander si catholiques et protestants ne rivalisèrent pas de zèle pour être le camp éliminant de la surface de la terre le plus de sorcières, et donc celui qui aura le mieux contribué à la purification de l'humanité.

Quelle meilleure façon d'éliminer les sorcières qu'au moyen des bûchers, le feu étant l'élément purificateur par excellence ? Cette pratique du bûcher fut adoptée dans toute l'Europe, (hors Angleterre où les sorcières étaient pendues) et a été utilisé dès les premières hérésies. Les sorcières étaient la lie de l'humanité. Il fallait un bouc-émissaire : on trouva les sorcières.

Lucifer, maître des sorcières, ici en train de dévorer Judas dans le dernier siècle infernal dans cette illustration de l'Enfer de Dante (on peut le voir enlacer Virgile à droite) (non je n'ai pas mis cette illustration juste parce qu'il y avait Dante et Virgile dessus) 

c)           sorcières : des boucs émissaires pour une période troublée

 

Les sorcières représentait donc une déviance dans la croyance puisqu'elles sont alliées au Diable, qui lui ne souhaite que la déchéance et la damnation de l'Homme. Une coupable idéale, donc. Même au delà de la religion la populace avait besoin pour se rassurer d'un responsable qui explique ses malheurs, comme épidémies, tempêtes, mauvaises récoltes et autres accidents qui ne pouvaient être que d'origine occulte. Il était rassurant d'avoir une sorcière à brûler car on pensait ainsi éloigner le mal en éliminant sa cause. La sorcière endossait donc le rôle de bouc émissaire et portait sur ses épaules  le poids de tous les malheurs et tares humaines.

            Les accusations en sorcellerie valaient aussi en politique, puisque le phénomène était tel que l'on calomnia même la royauté française d'y avoir commerce. Les protestants accusèrent ainsi Catherine de Médicis d'être une sorcière et de sacrifier des enfants nouveaux nés. Du moins est-il vrai qu'elle entretint de nombreux astrologues, dont Nostradamus et Ruggieri qui l'aidèrent à prendre ses décisions. On dit Charles IX également passionné de magie, et on l'accusa d'entretenir un sorcier nommé Trois-Eschelles. Jean Bodin notamment rapportait beaucoup de rumeurs de la sorte, mettant même la mort du souverain sur le compte d'une messe noire. Henri III subit aussi des rumeurs du même genre Le moine Jacques Clément l'aurait assassiné car il pensait que c'était le diable…

On pensait ainsi que la France était sorcière, puisque même ses dirigeants se trouvaient impliqués par la rumeur, si chère aux démonologues et inquisiteurs

 

Nostradamus qui fait encore beaucoup parler de lui

 

II. Manifestation de la sorcellerie

 

a)      une hérésie principalement féminine

 

La sorcellerie fut assimilée à une hérésie dès 1398. Une hérésie est une opinion religieuse contraire ou divergente à l'orthodoxie catholique. Cependant certains pensaient que la sorcellerie est pire encore que l'hérésie car les hérétiques feignent au moins de croire en Dieu, que les sorcières renient et blasphèment au profit de son ennemi, de son contraire, Satan.

C'est donc le maléfique que l'on combattait. Et quel est le maléfique le plus visible ?

 La femme.

On estime que 80% des personnes accusées de sorcellerie et brûlées étaient des femmes. On disait d'ailleurs « pour un sorcier, mille sorcières » Pourquoi donc une propension si importante ? Dans l'esprit des inquisiteurs, des ecclésiastiques en général, et même de la population, la femme est l'alliée naturelle du démon. En effet, les rédacteurs du Malleus Maleficarum, grand manuel de chasse aux sorcières de l'époque, auquel nous reviendrons dans la troisième partie, rapportent que femina viendrait du latin fides minus, à savoir une « foi moindre »

Selon eux, la femme est prédisposée à la sorcellerie par sa crédulité, son impressionnabilité, sa faiblesse d'intelligence, etc. De plus, la magie s'apprend plutôt par tradition orale à laquelle la femme est prédisposée par le bavardage. La faiblesse de sa volonté la rend plus encline à la jalousie, à la colère et à la vengeance. Enfin, sa convoitise charnelle est insatiable. Voici la condamnation que les inquisiteurs dressèrent des femmes et expliquait leur penchant pour le mal et la sorcellerie. Il ne faut pas non plus oublier que c'est la première femme, Eve, qui fut à l'origine du péché originel et de l'exil du paradis, parce qu'elle s'était laissée séduire par le démon. Elle y a donc été associée, alliée, dès son origine. Sa beauté, sa voix, et jusqu'à sa chevelure sont des artifices destinés à mener l'homme à sa perte.

C'est pour toutes ses raisons empruntes d'une forte misogynie, que le Malleus Maleficarum nous apprend que le terme exact de la répression de la sorcellerie doit être chasse aux sorcières et non aux sorciers puisque « le nom se prend du plus important »

Est-ce pour cela que la femme a été rejetée du service de Dieu et que les prêtres se doivent de rester célibataires ? On pense peut être que c'est par vengeance de ne pouvoir être au service de Dieu qu'elles se mirent à celui du diable…

On peut supposer qu'il y a en tout cas une véritable inquiétude face à la sexualité de la femme, dont le vagin était assimilé à un instrument de castration. Toujours d'après le Malleus Maleficarum, « toute sorcellerie provient de l'appétit vénérien, insatiable chez les femmes » La sorcière était d'ailleurs bien connue pour rendre les hommes impuissants… De même, elle seule possède le pouvoir de donner la vie, et ainsi la femme, la sorcière, a t'elle une image ambiguë, maîtresse de la vie et de la mort qu'elle distille comme bon lui semble. Le pouvoir de la femme effrayait…

Nous allons à présent voir quelles étaient les femmes que l'on appelait plus particulièrement sorcières…

 

 

b)      Qui sont celles que l'on nomme sorcières ?

 

C'est donc la femme qui a un ou des pouvoirs qui inquiétait, qu'il soit reconnu ou qu'on le lui prête. C'est en grande majorité dans les campagnes que l'on trouve la sorcière, bien que quelques dames des villes soient parfois accusées. Catherine de Médicis elle même obtint une réputation de sorcière auprès de ses détracteurs. Il est vrai qu'elle entretint de nombreux astrologues dont le plus connu est un certain Nostradamus. C'était une femme de pouvoir…

La plupart des femmes que l'on désignait comme sorcière étaient des veuves, mendiantes, enfants abandonnées, femmes célibataires (qui pourraient en plus chercher à séduire les maris des autres), folles… Une femme seule pense mal, et si elle n'est pas sous l'autorité d'un parent mâle ou d'un mari, elle tend naturellement à ce que la morale réprouve, comme s'abandonner à Satan et à la lubricité pour propager le mal. Ces femmes seules sont rejetées, et on les soupçonnait vite de sorcellerie, surtout si elles possédaient un animal noir ou étaient réputées pour leur connaissance des plantes et des herbes qui peuvent guérir ou apporter la mort.  La représentation classique que l'on se fait alors de la sorcière est une femme vieille, folle, laide, qui suppure la luxure et le mal. On en a une bonne représentation dans le tableau de Jérôme Bosch.

 

 

 

on imaginait que toutes les nuits elle s'envolait nue par la cheminée sur son balais pour retrouver ses congénères au sabbat (dont nous reparlerons). Il existait dans pratiquement tous les villages une de ces vieilles isolées, voir même exilées dans la forêt, connaissant les vertus des plantes et que l'on venait consulter pour se guérir de maladie ou d'amour, ou aussi pour aider à avorter. Il faut se rappeler qu'en ces temps là, la médecine était encore très rudimentaire et beaucoup de phénomènes naturels restaient inexpliqués, d'où la place prépondérante de la religion et du merveilleux. Ainsi la sorcière pouvait être non seulement tolérée, mais respectée, tant qu'il n'y  avait pas  de troubles. Elle était la première dénoncée en cas d'épidémie, de maladie ou de mort suspecte de la famille ou du bétail. Ce respect restait toujours mêlé de crainte.

toile de Colin représentant les sorcières dans MacBeth

Il n'y eut cependant pas que de vieilles sorcières, les jeunes femmes furent elles aussi soupçonnées, surtout si elles étaient belles, puisque comme nous l'avons vu plus haut, la beauté n'a pour but que de détourner de Dieu pour mener au Diable. On pensait que ces jeunes femmes se laissaient séduire, dans le sens premier du terme, puisque seducere signifie emmener à l'écart, détourner du chemin, par les vieilles qui les initiaient à leur art maudit et les présentaient à Satan. On assiste donc à une espèce de hiérarchie, l'apprentie et sa « tante » comme elles les nommaient lors des procès. Mais quelque soit leur âge, elles se distinguaient par leur grande impudeur et leur lubricité.

Hans Baldung Grien, vivant au XVIeme siècle, a particulièrement fantasmé sur les sorcières

Il n'y avait pas que ces deux catégorie de femmes à être soupçonnées de folâtrer avec les puissances infernales. Toute femme utilisant les plantes à des vues thérapeutiques, ou même pour se prémunir des sortilèges était une sorcières potentielle. C'est ce que l'on nomme la magie thérapeutique, et pourtant les femmes qui la pratiquaient se considéraient comme des anti-sorcières.

Même les femmes mariées pouvaient être soupçonnées, soient que les maris les dénoncent aux tribunaux pour s'en débarrasser, soit qu'elles avouent (contraintes ou non sous la torture) qu'elle se sont tournées vers le Malin pour échapper aux maltraitances du conjoint.

Ainsi, un exemple en Franche Comté : sur cent présumées sorcières, 17 étaient des veuves, 27 des célibataires, et 56 des femmes mariées…

Enfin il ne faut pas oublier l'hérédité. La fille d'une femme reconnue comme sorcière était considérée comme telle à son tour, d'où l'expression « avoir le pot » pot contenant les onguents et ustensiles de sorcellerie que la sorcière mourante léguait à sa fille.

On peut citer aussi l'exemple des femmes basques du Labourd que le démonologue Pierre de Lancre fut chargé de juger en 1608 sur ordre de Henri IV, car cette région était soupçonnée d'être entièrement sorcière. Les femmes que De Lancre trouva étaient des paysannes outrageusement indépendantes, pendant que leurs pères et maris étaient en mer, laissant de nombreuses veuves. Il prétendit qu'elles dansaient toute la nuit, hardies, imaginatives, bien loin du rôle de femme et de mère soumise qui sied à une honnête femme. Des centaines de ces présumées sorcières défilèrent au tribunal, s'accusant les unes les autres. 70 furent brûlées ainsi que 10 hommes dont 3 prêtres. Ce que l'on peut retenir de ce malheureux exemple est que les femmes sortant du schéma traditionnel de la soumission à l'homme et qui osaient penser par elles même et revendiquer leurs pouvoirs étaient des sorcières.

De toutes les façons, les périodes de grands troubles et de grandes misères comme le furent le temps des guerres de religion ont beaucoup profité à l'expansion de la sorcellerie. Ainsi, à la question « d'où date la sorcière ? », Jules Michelet, dans La Sorcière, (1862) répond « des temps du désespoir » Dans les temps particulièrement difficiles, la population des campagnes ravagées par la guerre cherchaient à échapper à leur insupportable quotidien, et mêlaient des substances hallucinogènes à leur pain, ou bien se confectionnaient des onguents à base de belladone, de jusquiame noire, d'opium, etc. le plus souvent mêlé à de la graisse, qui leur donnait des hallucinations et leur donnait ainsi l'impression de s'envoler au sabbat. Les visions érotiques générées par ses onguents ont participés de la réputation lubrique des sorcières…

On peut donc dire que les femmes accusées de sorcelleries étaient celles qui sortaient du moule de la femme soumise à l'autorité d'un homme et qui faisait valoir ses pouvoirs, de guérisseuse comme son pouvoir de séduction. Elles étaient aussi celles dont on ne voulait pas dans la communauté, les exclues.

 

 

c)      Les prêtresses de Satan

 

Comme nous l'avons vu, de nombreuses femmes étaient concernées par l'accusation de sorcellerie. Nous allons à présent voir de quoi on accusait les sorcières.

            Le plus grand crime de la sorcière est de renier Dieu pour adorer Satan. C'est en effet en faisant un pacte avec lui qu'elle obtient ses pouvoirs, le but du diable étant bien d'éloigner le plus d'humains de Dieu pour les attirer à leur perte. Tout ce que font le diable et la sorcière est à rebours de l'ordre naturel, de ce qui est plaisant à Dieu. Ainsi Jean Bodin dans son Démonomanie des sorciers, paru en 1610, rendit compte des quinze crimes des sorcières, qui va crescendo dans l'horreur et place bien les sorcières comme l'origine de tous les maux pouvant frapper les hommes.

 

 

 

 Selon les démonologues, les pouvoirs des sorcières leurs sont confiées par Satan afin qu'elles lui amènent toujours plus de nouveaux adeptes, qu'elles emmènent avec elles au sabbat. On leur prêtait le pouvoir d'ensorceler d'un regard, d'une parole, d'un attouchement, d'un geste (avec le fameux signe des cornes encore en usage de nos jours, mais plutôt chez les metalleux…), mais elles pouvaient aussi faire appel à des dagydes, ce qu'on nomme aujourd'hui plus communément poupées vaudous. Satan leur donnait à  chacune un démon incube, sorte de démon fornicateur, pour leur plaisir personnel, ou elles pouvaient avoir des démons familiers, comme pour Henri III qu'on accusa d'avoir un démon familier du nom de Terragon..  On accusait également les sorcières de se transformer en toute sorte d'animaux, qui différaient suivant les régions. Ainsi elle se feront plus souvent louves dans le Gévaudan, autrement elles se font lièvres, chats, chiens, etc.

 Les hommes sorciers était tout particulièrement accusés de lycanthropie, c'est à dire de se transformer en loup-garou et de dévorer ainsi les honnêtes gens la nuit venue. (il faudra encore attendre longtemps avant de reconnaître qu'il s'agit d'une maladie mentale) Ce sont aussi des meneurs de loups, et ils semble également que ce soit les hommes qui aient été tout particulièrement accusés de nécromancie, c'est à dire d'invoquer les morts à des fins divinatoires. 

L'un des actes de sorcellerie les plus importants, et qui fit le plus fantasmer les démonologues, était le sabbat, réunion de sorcières et sorciers, présidé par Satan lui même,  parfois représenté sous forme de bouc ou de chat noir. Il était assisté par divers démons et incubes. Si on sait que des sabbats ont vraiment eu lieu, les démonologues ont beaucoup extrapolé sur son déroulement, pour rajouter à l'horreur de l'acte lui même. Selon ce qui était le plus couramment admis, les sorcières, la nuit venue, enduisaient leur corps nu d'un onguent qui les faisait voler, ou utilisaient un balais pour se rendre sur les lieux du sabbat, le plus souvent un carrefour ou une clairière. Arrivées sur place, elles embrassaient le diable sur l'anus pour lui rendre hommage et lui présentaient les nouveaux venus qu'il marquait d'un signe : la sigma siggilum ou sigma diaboli, qui garantissait leur allégeance. On assiste parfois à une messe noire, blasphème de la messe catholique, puis les convives mangeaient les mets les plus immondes, comme des chairs d'enfants morts ou de sorciers etc. d'où était cependant absent le sel. Venait ensuite la danse, la fameuse ronde des sorcières, extatique, qui finissait dans la plus « totale et répugnante lubricité », puisqu'on y pratiquait entre autres crimes l'inceste et la sodomie. Tout ce que l'Eglise condamne est pratiqué.

les sorcières au sabbat, de Hans Baldung Grien encore

Au delà des fantasmes des démonologues, on peut se demander si ce que célébrait vraiment le sabbat et pourquoi il fut si condamné ne serait pas un résidu de rite païen de la fertilité. (les principaux sabbats se tenant d'ailleurs aux dates d'anciennes fêtes païennes) Avant que l'Eglise ne reprenne en main les croyances des fidèles lors de la Contre-Réforme, le paganisme et la superstition demeuraient assez forts en France. D'ailleurs, afin de condamner et de faire cesser l'adoration des anciens dieux, l'église les absorba dans le culte, mais en les diabolisant, en en faisant des démons, et ce pour de nombreuses religions. On retrouve des divinités grecques, celtes, romaines, égyptiennes, voire mésopotamiennes ou indiennes dans les noms de démons recensés par l'Eglise. Ainsi Bacchus Sabasius, qui donna son nom au sabbat, divinité grecque torturée. On peut aussi citer Amon, Isis, Baal, Adramelech,   Moloch, Proserpine, Kali, etc… L'une des divinités païennes qui laissa sans conteste la plus grande influence sur le diable de l'époque moderne (et même avant) fut Pan, divinité grecque de la fertilité, qui donna beaucoup de ses traits physiques (cornes, pieds de chèvres…) et moraux (appétit sexuel démesuré) à Satan et à la représentation classique d'un démon. Par ailleurs, l'existence des faunes, sylvains, et autres créatures mythologiques furent reconnues par les inquisiteurs comme existant réellement, mais en Enfer, au côté du Diable. Voilà comment survécurent les anciens dieux. Les sorcières, plus que des prêtresses de Satan, n'étaient t'elles des prêtresses de la nature ?

Nous avons donc vu que la sorcellerie était considérée comme une grave hérésie, qui touchait en grande majorité les femmes à cause du statut dont elles souffraient auprès de l'église, et nous avons vu quelles femmes étaient inquiétées par ce phénomène et de qui on les disait tenir leur pouvoir. Nous allons à présent nous pencher sur la manière dont cette sorcellerie a été réprimée, par qui et par quels moyens.

 

 

 

 

III. La répression de la sorcellerie.

 

a)      Inquisition, tribunaux séculiers et démonologues.

miséricorde et justice  sont les caractéristiques de la Sainte Inquisition, veut nous faire avaler ce gentil inquisteur ascendant dominicain

L'Inquisition s'est très tôt emparée des procès de sorcellerie, puisque son lien très fort avec le Diable, ainsi que l'hérésie relevait effectivement de sa juridiction. L'Inquisition était un tribunal ecclésiastique fondé au XIII° siècle pour lutter contre les hérésies cathares, et qui s'étendit très vite à la sorcellerie. Cependant, l'Inquisition n'a jamais été très implantée en France, peut-être par tradition gallicane ou parce qu'on ne voulait pas imiter les espagnols pour qui elle était extrêmement importante (cf. Torquemada). Rome échoua à vouloir la ré instaurer en France après le concile de Trente, Charles IX et Henri III se montrant très réticents. Ce sont donc les tribunaux séculiers qui s'occupèrent, non moins ardemment, de juger les sorcières. Pour cela ils s'appuyèrent néanmoins sur les méthodes inquisitoriales et sur leurs manuels, dont le plus important et celui qui eut le plus d'influence, en France comme en Europe, fut sans contexte le Malleus Maleficarum, ou Marteau des Sorcières. Il a été publié en 1486 par deux inquisiteurs dominicains, Jacques Sprenger et Henri Institoris, tous deux connus pour leurs hauts faits contre la sorcellerie dans le St Empire Romain Germanique. Il a été réédité 34 fois dans toute l'Europe entre 1487 et 1669, dont plusieurs fois à Lyon et à Paris durant le XVI° siècle. Il expose les différents actes des sorcières, la façon de combattre leur sortilèges et la procédure pour les juger. Cet ouvrage de référence à été utilisé par les magistrats aussi bien catholiques que protestants.

A cela il faut ajouter que le XVI° siècle, en France notamment, a été celui des démonologues. Ils pouvaient être clercs ou laïcs, et ils sont nommés ainsi car ils étaient des spécialistes de la sorcellerie et surtout de la façon de la réprimer. Ce sont eux notamment qui définirent l'image de la sorcière, du sabbat, des principaux sortilèges qu'elle utilisaient ou que le diable leur soufflait. Ces démonologues écrivirent de nombreux  manuels dans la lignée du Marteau des Sorcières, grâce à l'expansion impressionnante de l'imprimerie. La plupart des démonologues français étaient des juges ou des magistrats laïcs, et nous allons maintenant nommer les principaux :

-               Jean Bodin (1530-1596) il est l'auteur de la Démonomanie des sorciers dont nous avons vu un extrait tout à l'heure. Il était persuadé que Charles IX et Henri III étaient sorciers.

-               Henri Boguet, juge et légiste (1550-1610) auteur du Discours exécrable des sorciers et de l'Instruction pour un juge en fait de sorcellerie. Très apprécié sur le plan juridique, et très connu, notamment pour ses six avis dont nous reparlerons tout à l'heure. Il se montre moins superstitieux que Bodin.

-               Pierre de Lancre (1553-1631) magistrat de Bordeaux que nous avons vu lors du cas des sorcières basques qui lui inspirera son Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons en 1612, Incrédulité et mécréance du sortilège, 1622 et Du sortilège, 1627

-               Jean Wier, ou Johan Weyer (1515-1588) qui fut le précepteur des fils de François I°, dont nous reparlerons plus tard puisqu'il était le seul démonologue à désapprouver la répression dont elles faisaient l'objet. Auteur de Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables, 1579, De lamiis liber, 1577, De prestigiis daemonum, 1568.

-               Nicolas Remy (1530-1612) connu pour ses actions de répression en Lorraine qu'il relate dans ses mémoires Daemonolatriae libri tres, 1595.

Nous allons à présent voir ce que ces démonologues, inquisiteurs comme laïcs, conseillaient pour juger les sorcières et mettre fin à leurs crimes.

 

b)      Procès, tortures et bûchers.

torture de l'estrapade du XVeme en lien ici

 

En France, le temps de la répression se situe entre 1560 et 1580. Avant, grand calme seulement troublé par la crémation de quelques loups-garous et sorcières.

Tout commençait généralement par la délation, c'est-à-dire la dénonciation, ou la rumeur. La présumée sorcière était menée devant le juge et devait répondre des accusations menées contre elle, sans connaître ses accusateurs. Si elle  n'avouait pas alors que pesait contre elle un fort soupçon, ou si elle s'avouait sorcière sans s'en repentir, on pouvait la torturer, ce qui était un moyen jugé légitime à l'époque pour obtenir la vérité, bien que les auteurs du Malleus Maleficarum recommandèrent de n'y parvenir qu'en dernier recours. Ceci pour la faire avouer plus vite et/ou pour qu'elle dénonce ses complices.

Il y avait certains moyens jugés infaillibles de reconnaître une sorcière, comme par exemple l'absence de larmes. Si une femme accusée de sorcellerie n'était pas capable de pleurer, on la tenait pour sorcière véritable. De même, on rasait tout le corps de l'accusée, en commençant par les cheveux, afin de trouver sa sigma diaboli, la marque faite par le diable sur son corps et qui se cachait le plus souvent dans les endroits les plus secret. Cette marque était insensible à la douleur et ne saignait pas, et c'est pourquoi on piquait l'accusée de par tout le corps pour la trouver. Ce rasage avait aussi pour but de découvrir le sort de taciturnité que pouvait cacher la sorcière. Ce sort, sous forme d'un morceau de cire ou de parchemin, empêchait la sorcière de ressentir la douleur sous la torture, et donc de dénoncer ses complices. Ce rasage était extrêmement humiliant et sapait ainsi la volonté de l'accusée. On suspectait souvent le diable de tout faire pour éviter de faire prendre ses fidèles, aussi était ce lui que l'on accusait lorsque l'accusée ne pouvait parler. De même, s'il arrivait que,  de désespoir, elle se pende dans sa cellule, c'était également lui que l'on accusait.

La torture, ou question (étymologie intéressante)  se divisait en plusieurs mouvements :

-               la question préparatoire où l'on expliquait la fonction des instruments et l'on donnait quelques coups de fouets

-               la question définitive, divisée en ordinaire avec l'estrapade ou extraordinaire avec la dislocation des membres, sans oublier les tortures additionnelles avec arrachage de chair au fer rouge etc. (en fait la question ordinaire consiste à faire avouer son hérésie à l'accusé. La question extraordinaire est quand on est convaincu de sa culpabilité et que l'on veut lui faire avouer ses complices… il importait peu qu'il meurt sous la torture, elle était donc plus poussée)

Les tortures les plus fréquemment utilisées étaient la chaise à clous, l'élongation (sur un chevalet) l'estrapade, les garrots, les poucettes les fers, les brodequins et l'eau bouillante. Sans oublier la fameuse pesée des sorcières,  où l'accusée attachée était jetée à l'eau. Si elle flottait, elle était sorcière, si elle coulait, elle était innocente et on priait pour le salut de son âme.

(si vous voulez voir des illustrations sur les moyens de supplices, direction hérésie.com)

De nombreuses innocentes furent prises, et de nombreux abus furent commis, et les innocentes sous la torture avouaient tout ce qu'on voulait qu'elles disent. Henri Boguet condamna un jour une femme à laquelle il manquait un morceau de croix sur le chapelet, signe certain de sorcellerie selon lui. Voici d'ailleurs ce qu'il conseille pour l'éradication des sorciers et sorcières.

 

 

ces condamnations pouvaient varier légèrement d'un juge à l'autre. Ainsi si certains préconisent l'éradication des sorciers dès le berceau, d'autres refusaient de condamner des enfants en dessous d'un certain âge. (12 ans)

Les affaires de sorcellerie pouvaient également être lucratives : en effet, les biens de l'accusée étaient saisis soit par l'Inquisition, soit par le tribunal séculier chargé de l'affaire…

La sorcière non repentante était jetée au bûcher. Celle qui se repentait pouvait être étranglée avant par grâce ou être condamnée à la prison perpétuelle. On cite aussi le cas d'une femme qui préféra mentir et se faire brûler que de subir la honte de revenir dans son village après son accusation. Beaucoup d'accusées cherchaient à mourir pour échapper à cela, ou alors aux tortures continuelles.

            Il arrivait parfois que la population se charge elle même de supprimer celle que l'on tient pour sorcière avant même son jugement, par lapidation notamment…

 

c)      les détracteurs

 

Il y eut tout de même des voix pour s'élever contre les répressions et montrer leur caractère totalement absurde, et le premier fut sans doute Michel de Montaigne (1533-1592) humaniste tolérant, qui afficha son scepticisme sur le pouvoir réel des sorcières. Ayant eu l'occasion de rencontrer des prisonnières accusées de sorcellerie, il préconisa plutôt de leur donner de l'ellébore, plante connue pour lutter contre la  folie et l'imbécillité, que de les brûler car, dit-il, à propos des soit-disant marques diaboliques et autres arguments anti-sorcière « C'est mettre ces conjonctures à bien haut prix que d'en faire cuire un homme tout vif ». Il eut un lien de parenté avec l'acharné démonologue Pierre De Lancre qui avait épousé sa petite nièce…

En 1589, Pigray, médecin personnel de Henri III exprima lui aussi son scepticisme en fait de sorcellerie en rapportant la visite qu'il fit avec d'autres médecins à des accusés de sorcellerie, ne trouvant rien de diabolique aux marques qu'on leur désigna comme la preuve de leur culpabilité, n'y voyant que « de pauvres gens, stupides, dépravés de leur imagination ». Il les fit relâcher. Cela donne vraiment un aperçu des gens accablés d'accusation de sorcellerie, que la simple observation médicale, et la « raison » comme le nota Pigray, peut aisément amputer. Combien de ces gens moururent sur le bûcher ?

Jean Wier  démonologue et  médecin protestant croyait au pouvoir des sorcières, mais tenait à les distinguer des personnes atteintes de maladies mentales. Pour lui on ne pouvait donc songer sérieusement à la sorcellerie que si la médecine échouait. Cela lui valut la haine particulière de Jean Bodin notamment, et on le considéra comme un ami et un avocat des sorcières, sans pouvoir lui porter plus de préjudice puisqu'il était le médecin de Guillaume de Clèves qui le protégeait. Il s'éleva contre ceux qui tiraient profit de ces procès, condamna les exorcismes publics et surtout l'usage de la torture. Tous les reproches qu'il formula furent très virulents et en font réellement un précurseur, qui malheureusement ne fut pas entendu. Il fallut attendre le XVII° siècle pour que d'autres voix s'élèvent.

 

conclusion :    La chasse aux sorcières en France au XVI° fit partie du mouvement de répression générale qui s'abattit sur toute l'Europe. Et, même si la France paraît extrêmement modérée par rapport à certains de ses voisins, il n'en reste pas moins que de nombreuses femmes, et des hommes aussi, on été tués pour un crime qui paraît aujourd'hui bien risible. On sait que le Saint Empire Romain Germanique a allumé près de 22 500 bûchers durant la chasse aux sorcières. Les chiffres sont très difficiles à  établir en France, car il semble que ceux avancés par des démonologues soient quelque peu exagérés. Nicolas Remy se vanta ainsi d'avoir brûlé pas loin de 900 sorcières en Lorraine. On sait en tout cas que le Parlement de Paris (qui s'occupe de près de la moitié du royaume) proclama 474 condamnations à mort pour sorcellerie entre 1550 et 1670. Mais on ne possède pas de chiffres exacts pour le reste de la France. (mais ça ne doit pas dépasser 2 000)

Par la suite, la sorcellerie en France s'est manifestée par de grandes affaires de possessions démoniaques, puis par l'affaire des poisons. Les derniers bûchers s'éteindront à l'extrême fin du XVII° siècle.

Si la chasse aux sorcières fut plus virulente au XVI° siècle en France, c'est à cause du schisme religieux qui l'a déchirée et qui, durcissant le contrôle de la croyance, à cherché à se purifier par le meurtre des sorcières, ces femmes maudites, seules, possédant trop de pouvoirs. La sorcière est l'emblème des malheurs du temps. Elle fut le fantasme du peuple rejetant sur elle toutes ses fautes, tous ses pêchés, tous ses désirs refoulées. La sorcière venait du fond des âges et perpétuait le culte des dieux déchus et de la nature, s'opposant à la religion catholique pleine de frustrations et d'interdits qui imputa ses actions au diable. La sorcellerie fut donc l'expression d'une révolte, contre la religion, contre la société où les femmes furent si brimées. Enfin elle exprime la misère et l'angoisse d'une population qui, ne trouvant pas de réponses à ses appels désespérés et à ses interrogations sur la vie et la mort auprès de Dieu, se tourna vers son contraire : le Diable.                    

                                       

 

représentation du Diable du XIXème siècle. Lucifer par son destin tourmenté est l'ami des romantiques

 

la tentation de Saint Antoine (détail)

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